Peut-être n'aurais-je pas dû monter dans ce Renault Master innovant aménagé pour un ami tétraplégique… Nous étions en 1993 et je « claquais des dents » à 130 km/h sur l'Autoroute du soleil en direction de Montpellier. Quant au chauffeur, sur son fauteuil électrique arrimé au poste de conduite, il se servait d'un joystick pour diriger son véhicule, son volant tournant tout seul. Dans ce prototype, j'étais à la place du mort. Mes yeux étaient hypnotisés par ce volant fou et je n'en menais pas large, à peine rassuré par le sourire confiant de mon ami pilote. C'est à cet instant, pour me détendre, qu'il me dit : « C'est merveilleux le progrès technologique, tu ne trouves pas ? Regarde-moi ça, on va monter à 150 km/h ! ». Nous avons ri…
Le progrès des esprits
C'est vrai, les innovations sont extraordinaires lorsqu'elles sont destinées à de bonnes choses. Et celles pour le mieux vivre des personnes handicapées depuis des décennies sont légion et continueront à améliorer leur quotidien en ouvrant ou réouvrant des perspectives d'autonomie, de vie professionnelle, de vie tout court. Mais, car il y a un toujours un « mais », où en sommes-nous des progrès des « esprits » sur la question du handicap ? Je n'ai pas la prétention de retracer l'évolution des représentations du handicap dans la société depuis des siècles ou des millénaires (consultons pour cela l'excellent livre de Valérie Delattre Handicap : quand l'archéologie nous éclaire). Une batterie de sociologues et de philosophes s'y est employée. Concentrons-nous juste sur quelques termes à la mode sur le sujet, ces dix dernières années…
Des mantras fourre-tout
C'est d'abord « changer le regard » sur les personnes handicapées. « Hé oui, ces personnes sont avant tout des êtres humains, avec leur singularité, leurs différences, etc. Et puis, elles sont aussi citoyennes ». Combien de fois ai-je entendu ces mots, ces évidences, ces lapalissades complaisantes ? A force de les répéter comme un mantra fourre-tout, on a fini par les vider de leur sens, en se donnant bonne conscience. Puis sont apparus « inclusion » et « société inclusive ». Je ne saurais que conseiller les livres de l'ami Charles Gardou sur le sujet. Je ne débattrai pas de l'étymologie du mot « inclusion » mais de ce qu'il devient à force d'être employé à tout bout de champ, servi à toutes les sauces. Nous allons finir par « changer de regard » sur ces mots, je vous le prédis. Ils vont, à leur tour, se vider de leur sens, ânonnés dans tous les lieux où l'on parle de handicap. Pourquoi ? Tout simplement parce que, sans actes forts, ils ne riment à rien. Promettre depuis des décennies l'accessibilité, l'accès à l'école, aux études supérieures, à la formation, à l'emploi (…) des personnes handicapées sans changement radical finit par lasser, décourager, engendrer des colères.
D'inclusive à collaborative
Bien sûr, toutes ces années n'ont pas été vaines. Les acteurs concernés (État, associations, entreprises…) agissent mais on regrettera qu'à l'aune d'une vie la prise en compte des situations de handicap est toujours trop lente. Nous le savons, la réalité du terrain est essentielle et mériterait d'être mieux valorisée, sans dogme ni posture politique, afin d'accélérer ce temps qui manque pour éviter les pertes de chance. On parlerait moins de « société inclusive » mais de « société collaborative », et pourquoi pas « pro-active », car le besoin essentiel est de trouver des solutions, ensemble. « Cerise sur le gâteau », si je peux m'exprimer ainsi, la diversité et une « inclusion réciproque » sont des éléments clés pour parvenir à ce dessein car une variété de perspectives et de points de vue aide à identifier et résoudre les problèmes, et surtout à impacter les mentalités, de manière plus efficace et durable.
La parole est aux actes. Et chacun peut agir…
Bonne année 2023 !
Gilles Barbier, directeur de Handicap.fr