La Seine-Saint-Denis, « territoire d'avenir » ? Les projets d'envergure se bousculent et portent ce département francilien sur le devant de la scène, parfois internationale. C'est principalement ici que se dérouleront les épreuves des Jeux olympiques et paralympiques de 2024, un colossal village est en train de sortir de terre pour accueillir les athlètes, avec des appartements 100 % accessibles qui permettront dès 2025 de loger près de 6 000 personnes. C'est aussi à Aubervilliers que la Maison de l'autisme, à vocation nationale, doit ouvrir ses portes (Lire : La Maison autisme ouvrira ses portes fin mars 2023 ). Côté rue, tout va donc pour le mieux ?
Le département le moins bien loti ?
Et, côté cour, notamment en ce qui concerne la prise en charge des personnes en situation de handicap ? La situation est critique, répond le Conseil départemental. Comme dans de nombreux territoires où des dizaines de milliers de familles sont en attente de solution pour leur proche. Alors, sur 100 départements français, pourquoi lui ? Parce que ce « parent très pauvre » détiendrait une triste palme... La Seine-Saint-Denis est le territoire le moins bien doté de France métropolitaine, selon la DREES (2020), proportionnellement à sa population. Carrément « sous-doté ». Les taux d'équipement y sont « très faibles », trois fois inférieurs à la moyenne nationale. 6 700 enfants et 2 500 adultes sont actuellement sans solution adaptée (établissements ou services, médicalisés ou non), sur 150 000 personnes en situation de handicap recensées.
L'alerte à la ministre
« Qu'il s'agisse d'établissements ou de services, le retard à rattraper pour la Seine-Saint-Denis est colossal », fait savoir le président du Conseil départemental, Stéphane Troussel, qui avait déjà tiré très fort le signal d'alarme lors de la visite du chantier de la Maison de l'autisme, allant à contre-courant des discours de circonstance plutôt complaisants. C'était en décembre 2022, Geneviève Darrieussecq, ministre déléguée aux Personnes handicapées, était présente. Son avertissement semblait avoir été entendu puisque cette dernière évoquait la nécessité de connaître le diagnostic précis des besoins afin de travailler à une réponse spécifique des ressources que l'Etat serait en mesure de déployer.
5 000 solutions minimum
Quand un coup de semonce serait nécessaire, Stéphane Troussel adresse le 14 mars 2023 une piqûre de rappel par courrier à la ministre, avec copie à Jean-Christophe Combe, ministre des Solidarités, de l'Autonomie et des Personnes handicapées, avec l'objectif de ne pas manquer un rendez-vous à venir, la prochaine Conférence nationale du handicap annoncée au printemps 2023. Il y réclame urgemment « un plan de rattrapage pour la Seine-Saint-Denis », voté à l'unanimité par tous les élus du département, gauche et droit confondues, preuve que cette mobilisation est transpartisane. Le déficit très important de l'offre médico-sociale a conduit à réserver les places en établissement et services aux handicaps les plus lourds ; un nombre important de cas dits « complexes » restent sans solutions aujourd'hui, notamment parmi les enfants, et nécessitent des modes de prise en charge « intensifs ». En l'absence de mesure, le risque pour sa population est de « continuer à subir cette importante perte de chances dont les conséquences humaines sont dramatiques », s'alarme Stéphane Troussel. 5 000, c'est le nombre de solutions qui doivent être déployées, dont au moins 2 200 pour les enfants. Au minimum et rapidement ! Car, à cette saturation déjà critique, il faut ajouter une croissance démographique supérieure à la moyenne qui va fatalement compliquer la donne dans les années à venir.
Priorité aux établissements... inclusifs !
Allant à contre-courant des ambitions actuelles, ONU en tête, qui exige une désinstitutionalisation à marche forcée, le 93 appelle à plus de mesure. Priorité, donc, aux établissements médico-sociaux ! Stéphane Troussel invoque les « caractéristiques de (sa) population », qui vit dans des « logements souvent exigus, avec une forte proportion de personnes hébergées chez des tiers, une fragilité des structures familiales, une proportion élevée de familles monoparentales isolées, des difficultés d'accès aux soins… », qui doivent donc « être prises en compte dans les caractéristiques de l'offre médico-sociale ». Pas question, pour autant, de renier le « virage inclusif » porté par le gouvernement. Si le département plébiscite les « prises en charge en ESMS », il assure que les associations gestionnaires sont à même de proposer des modèles « innovants, centrés sur l'autonomie de la personne et l'accès au milieu ordinaire, en matière notamment de prise en charge scolaire ». Est ainsi défendue l'idée d'un « continuum de solutions », avec une palette de prises en charge et, seulement en « dernier recours durable, des établissements avec internat ».
Le département entend assumer sa part financière dans cette métamorphose au long cours. Il place tous ses espoirs dans la future CNH pour de « nouvelles annonces ministérielles ». Pour permettre à ce département jeune et plein de vigueur d'aller Citius, altius, fortius (Plus vite, plus haut, plus fort), et s'inscrire ainsi dans le credo des JO ?
Photo : Visite du chantier de la Maison de l'autisme en décembre 2022/Conseil départemental de la Seine-Saint-Denis