Fiphfp : dernière alerte aux politiques avant le crash ?

Le Fiphfp tel qu'on le connait vivrait-il ses derniers mois ? C'est ce qu'affirme son nouveau président, Dominique Perriot, qui appelle les politiques à une réforme urgente. Il se dit néanmoins optimiste pour sauver un modèle qui a fait ses preuves.

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Handicap.fr : Nouveau président du Fiphfp depuis novembre 2016, qui êtes-vous ?
Dominique Perriot : Je dirige actuellement l'établissement médico-social l'Institut le Val Mandé, et j'ai ainsi pu mesurer les difficultés d'accès à l'emploi des personnes handicapées en milieu ordinaire.

H.fr : Vous étiez par ailleurs rapporteur de la commission financière du Fiphfp, et donc en première ligne pour voir ce qui le menace à très court terme…
DP : En effet. J'ai vu les limites du système actuel qui ne peut pas perdurer en l'état.

H.fr : Expliquez-nous pourquoi…
DP : C'est ce qu'on appelle l'effet ciseau : de plus en plus de collectivités de la Fonction publique remplissent leurs obligations d'emploi de travailleurs handicapés. Leur taux est passé de 3,74% en 2006 à 5,17% en 2015. Ce qui signifie que les contributions (ndlr : « amendes » de ceux qui ne remplissent pas l'objectif de 6%) baissent mais, dans le même temps, les besoins en termes d'accompagnement et de formation des travailleurs en emploi augmentent. Notre Fonds est donc confronté à ce défi : faire plus et mieux avec moins de moyens. Le futur président de la République et nos deux Assemblées doivent donc réfléchir rapidement à un modèle différent.

H.fr : Avez-vous alerté les candidats à l'élection présidentielle sur ce sujet ?
DP : L'attente globale de notre comité national, qui regroupe les associations, les syndicats et les employeurs, est évidemment que la politique du handicap soit au cœur de ce débat. Force est de constater qu'il a été très absent lors des deux primaires. Les personnes handicapées ont droit à l'inclusion, qui passe aussi par le travail. Et faut-il rappeler que, derrière elles, il y a toujours des familles et des aidants. Les politiques en faveur des personnes handicapées touchent aussi les proches et, par extension, tous les employeurs.

H.fr : Quelles sont les options pour sauver le Fiphfp de la panne sèche ?
DP : Sans budget pérenne, il ne pourra pas poursuivre sa mission. En puisant dans nos réserves, on peut tenir jusqu'à fin 2018. Si on met fin au système actuel de contribution « incitative » et qu'on demande à chaque fonction publique de mettre en œuvre sa propre politique handicap, ça ne marchera pas. Face à l'urgence, le Fiphfp a donc proposé plusieurs axes de réflexion. Par exemple une contribution liée à la masse salariale et au nombre de fonctionnaires.

H.fr : Une autre piste ?
DP : Oui. Un modèle avec deux financements : une contribution selon le modèle actuel jusqu'à ce que les 6% soient atteints, couplé à un financement plus stable et pérenne. Un peu comme l'a fait la CNSA (Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie) avec la journée de solidarité à destination du secteur des personnes âgées. Alors pourquoi pas une part de cette journée reversée au Fiphfp ? Lors de la CNH (Conférence nationale du handicap) de décembre 2016, un groupe de travail, auquel collabore également l'Agefiph (ndlr : le pendant du Fiphfp pour les entreprises privées), a été mis en place avec l'objectif de réfléchir à ce nouveau modèle économique. Notre Fonds se met à disposition des candidats pour travailler ensemble.

H.fr : Comment convaincre, faire bouger les choses ?
DP : L'insertion des personnes handicapées, c'est un travail de longue haleine. C'est bon pour la personne elle-même mais aussi pour ses proches, et donc pour la société toute entière. Il nous faut donc avoir des objectifs à long terme alors que le système de prélèvement actuel impose, au contraire, une vision à court-terme. C'est pourquoi nous avons besoin de ressources pérennes.

H.fr : Le problème, c'est que vos réserves ont été largement entamées par des ponctions successives depuis trois ans...
DP : En effet, ce qui n'a fait qu'accélérer notre problématique. Trois ponctions de 29 millions entre 2015 et 2017 pour financer les contrats aidés, qui ne profitent qu'en partie aux travailleurs en situation de handicap. Dès mon arrivée à la présidence, j'ai envoyé une lettre à la ministre du Travail pour lui demander de renoncer à la dernière ponction. Pour le moment, pas de réponse… Mais j'espère que la mobilisation des acteurs aura un impact.

H.fr : La dernière mauvaise nouvelle est l'annonce du non-versement d'une partie de la contribution des universités pour financer la sécurité sur les campus face à la menace terroriste…
DP : Le chiffre en effet annoncé fin août 2016 est de 30 millions d'euros (article en lien ci-dessous). En janvier 2017, nous avons reçu un « bleu » de Matignon qui officialise que les universités ne s'acquitteront que d'un tiers de leur contribution au Fiphfp. Selon nos calculs, nous sommes sur une perte de recettes de 14 millions. C'est-à-dire presque 12% de notre budget annuel !

H.fr : Le problème, c'est que, pour le moment, vous n'êtes pas officiellement averti…
DP : En effet, nous avons appris cette nouvelle comme tout le monde via une annonce de la ministre sur les réseaux sociaux. Pour le moment, aucune information officielle ; nous n'avons jamais été consultés en amont, ce qui explique les réactions très vives des syndicats et des associations. Je les comprends car ils ont pris cela comme une forme de mépris. Autant qu'un problème de fond, il y a quand même un grave problème de forme.

H.fr : Et vous ne comptez pas réagir ?
DP : Avant de réagir, nous attendons d'avoir le vrai chiffre. Notre service juridique est en train d'étudier la situation pour savoir si cette décision va contre la loi. J'aimerais quand même un peu plus d'équité entre les fonctions publiques. Il n'est pas normal qu'un directeur d'hôpital soit poursuivi s'il ne verse pas sa contribution mais pas une université. Mais peut-être nous faudra-t-il malgré tout accepter cette décision en espérant qu'elle ne se prolongera pas et qu'elle ne donnera pas envie à d'autres de faire de même.

H.fr : Le président du Fiphfp, qu'en pense-t-il à titre personnel ?
DP : La question que je me pose est la suivante : est-ce que l'État d'urgence et la situation financière de la France peuvent légitimer le fait que les personnes handicapées doivent tout accepter ? Les obstacles liés au handicap, elles les portent 24 heures sur 24 alors comment peuvent-elles admettre qu'il y ait des intérêts supérieurs ?

H.fr : La non-contribution de l'Education nationale est, elle aussi, un sujet récurrent. Comment expliquer qu'elle soit exemptée ?
DP : Parce qu'on considère qu'elle respecte ses obligations via l'embauche des AVS (auxiliaires de vie scolaire) qui accompagnent les élèves en situation de handicap. Mais cela pose un vrai problème d'équité dans la fonction publique, d'autant que c'est le ministère qui a le plus fort effectif. Il faudrait voir combien coûtent ces AVS et calculer le delta avec le montant de la contribution supposée. Dans le prochain modèle de financement du Fiphfp, l'Éducation nationale devra forcément y être associée et contribuer à la fois au maintien dans l'emploi et à la politique d'incitation à l'embauche.

H.fr : Ce qui est encore plus étonnant, c'est que le Fiphfp verse des aides au ministère de l'Éducation nationale…
DP : En effet, pour assurer le maintien dans l'emploi de ses personnels en situation de handicap. Soit 44 millions d'euros sur 5 ans prélevés sur nos réserves, arrivés à terme fin 2016.

H.fr : C'est tout de même aberrant !
DP : Peut-être mais notre priorité est avant tout d'accompagner les travailleurs. Pas question de pénaliser le personnel, d'autant que le bilan est plutôt satisfaisant. Il n'est évidemment pas question de renouveler cette aide à la même hauteur.

H.fr : Quel est le montant des réserves du Fiphfp aujourd'hui ?
DP : 95 millions pour la fonction publique hospitalière, zéro pour la territoriale et moins 35 millions pour celle de l'État. C'est grâce à la première que notre Fonds a encore un peu de trésorerie. Mais il faut savoir que la Cour des comptes réclame une étanchéité entre les trois fonctions publiques.

H.fr : Sans ce transfert, comment faire ?
DP : Il faut que l'Etat trouve très rapidement de nouvelles ressources. Par ailleurs, le budget 2018, qui sera voté en octobre 2017, va être vraiment compliqué si on ne réagit pas rapidement.

H.fr : La situation est tout de même critique car les élections ont lieu en mai. A peine 6 mois pour tout mettre en action…
DP : En effet. Six mois pour réagir, il ne faut pas rêver. C'est pourquoi on peut s'attendre à un budget 2018 très contraint. Un établissement public ne peut pas être en déficit, les dépenses doivent être équilibrées. Notre budget de fonctionnement s'élève entre 160 et 180 millions d'euros par an mais nos recettes ne sont que de 120 millions. C'est pourquoi il nous faut puiser dans nos réserves qui seront donc à sec fin 2018. Si on doit faire des économies, tous les secteurs seront impactés : la formation, l'accessibilité…

H.fr : Dans ces circonstances, la fusion avec l'Agefiph, que l'on évoque parfois, pourrait-elle apporter, en partie, une solution ?
DP : Non, elle n'est toujours pas à l'ordre du jour et ce n'est certainement pas le président du Fiphfp qui va prôner une telle fusion. Si j'étais certain qu'elle permet de faire des économies d'échelle, je dirais oui. Mais chacun a ses spécificités, et je ne suis vraiment pas convaincu que cela soit la clé à nos problèmes…

H.fr : Y-a-t-il, malgré tout, des raisons de se réjouir ?
DP : Oui, nous sommes optimistes. On ne peut plus reculer ; tant de choses ont été accomplies que le bilan est tout de même positif. Il y a des initiatives incroyables qui sont menées dans les régions et on ne peut que continuer sur ce chemin…

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"Tous droits de reproduction et de représentation réservés.© Handicap.fr. Cet article a été rédigé par Emmanuelle Dal'Secco, journaliste Handicap.fr"
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