Roger Tullgren, 42 ans, est handicapé. Qualifié officiellement comme tel à cause... de son addiction au heavy metal ! Le hard rock, quoi ! Ce n'est pas un canular puisque, selon certains medias locaux, ainsi en a jugé la justice de son pays, la Suède. Roger est tombé dedans lorsqu'il avait deux ans. A 42 ans, il continue de biberonner sa musique favorite à longueur de journée. 300 concerts en un an ! Une passion non-stop, qui, selon lui, l'empêche de travailler à plein temps. « Ça fait 10 ans que j'essaie de le faire reconnaître comme handicap », déclarait-il au quotidien suédois The Local. Il a consulté plusieurs médecins qui ont confirmé qu'il était incapable d'assurer un emploi à temps plein. Trois psychologues ont finalement défini sa passion comme une véritable addiction. La justice de son pays aurait donc tranché en sa faveur en lui accordant une pension d'invalidité pour compléter son emploi à temps partiel à la plonge d'un restaurant.
Une loi sujette à interprétations
Cette affaire, qui refait aujourd'hui surface sur le Net, remonte en réalité à 2011 mais offre l'occasion de se demander si une « nomenclature » de plus en plus élargie du handicap ne pourrait pas engendrer, à l'avenir, quelques dérives ? Car, notamment en France, à la faveur de la loi handicap de 2005, cette notion s'est nettement étendue, diversifiée. Pour ne pas dire délitée ? On observe, notamment, une recrudescence des reconnaissances de travailleurs handicapés. Il est vrai que la définition proposée par cette loi ouvre un vaste champ d'interprétations : « Toute limitation d'activité ou restriction de participation à la vie en société subie par une personne dans son environnement en raison d'une altération substantielle, durable ou définitive d'une ou plusieurs fonctions physiques, sensorielles, mentales, cognitives ou psychiques, d'un polyhandicap ou d'un trouble de santé invalidant ». Donc, très objectivement, une « heavymétalite » aigue, ça peut coller ! Mais jusqu'où faut-il aller ?
De nouveaux handicaps liés à l'environnement
D'autant que certaines « menaces invalidantes », encore ignorées il y a quelques années, ne cessent de s'amplifier, notamment à la faveur de l'environnement et des technologies. Les deux parfois se conjuguent pour mettre les citoyens dans des situations qui ne relèvent plus seulement de l'inconfort mais d'un handicap avéré. Par exemple, en avril 2014, une aide financière est accordée à un homme dont l'électrosensibilité est reconnue comme un handicap, afin de lui permettre d'acquérir du matériel pour se protéger des ondes magnétiques. Une première en France, contrairement à la Suède, décidemment très pionnière, qui reconnait déjà cette pathologie comme handicap à part entière depuis quelques lurettes.
L'obésité sévère aussi
Nouvelle affaire quelques mois plus tard, en décembre 2014, lorsque la Cour de justice de l'Union européenne statut que l'obésité sévère peut être considérée comme un « handicap » à partir du moment où elle complique la vie professionnelle. Elle délibère sur le cas d'un Danois, assistant maternel, de plus de 160 kilos, qui a saisi la justice de son pays car il estime avoir été licencié à cause de son obésité. Il réclame des dommages et intérêts son employeur pour discrimination illégale. La justice danoise, désemparée, a refilé le « bébé » à l'Europe. La Cour européenne finit par trancher : l'obésité peut « relever de la notion de handicap, à condition, précise-t-elle, que, dans des circonstances données, l'état d'obésité du travailleur entraîne une limitation qui peut faire obstacle à la pleine et effective participation de cette personne à la vie professionnelle ».
Où placer le curseur ?
Aujourd'hui, si l'on se fie aux statistiques, ou plus exactement aux estimations, près de 10% de la population mondiale serait touchée par un handicap, soit 650 millions de personnes dans le monde. En France, certains estiment ce chiffre à 5 millions, D'autres à 12. Comment comptabiliser ? Où placer le curseur ? Avec une telle latitude d'interprétations, un handicap, finalement, ça veut dire quoi ?