8 millions de Français aidants. Combien à bout ? La Fondation France Répit œuvre pour ces invisibles qui accompagnent un proche. Statut des aidants, maison de répit, congrès… Des projets vitaux selon Henri de Rohan-Chabot, son délégué général.
Handicap.fr : « Répit », ça signifie quoi ?
Henri de Rohan-Chabot : C'est un peu le mot « valise », presque à la mode mais il y a une vraie prise de conscience. La Fondation France Répit s'est inspirée de la définition anglo-saxonne : le répit n'est pas seulement un besoin d'hébergement temporaire mais fait partie intégrante du parcours de soin. Cette approche ne se préoccupe pas seulement de la personne malade ou handicapée mais de l'ensemble de son « écosystème » au sens large, prenant en compte la dimension sociale, physique, existentielle. In fine, son but, c'est de pouvoir maintenir la personne le plus longtemps à son domicile, en proposant à ses aidants des temps de pause et, pour chacun, un accompagnement adapté.
H.fr : Qui sont ces aidants qui aspirent au répit ?
HRC : Nous avons identifié trois publics différents. Tout d'abord ceux qui accompagnent un proche dépendant ou âgé, atteint d'une maladie propre au vieillissement, avec des prises en charge lourdes au domicile. Ensuite, les aidants de personnes handicapées qui ont des difficultés de mobilité et ont donc besoin de la présence d'un tiers en permanence. Enfin, ceux qui s'occupe d'un proche atteint d'une maladie grave ou chronique, que la médecine d'aujourd'hui sait mieux gérer avec une espérance de vie plus longue. Je crois que, pour ces derniers, l'épuisement psychologique et physique est encore plus fort que pour les autres…
H.fr : Mais aider nos ainés ou les plus fragiles, c'est une implication qui n'est pas nouvelle... Pourquoi, aujourd'hui, cette question est-elle au cœur des débats sociétaux ?
HRC : On vit plus nombreux avec des maladies graves et des handicaps sévères. Et même de plus en plus tôt, et surtout plus longtemps. Ces situations de dépendance vont être, à l'avenir, de plus en plus fréquentes. Or les soutiens traditionnels, tels que la famille, le village ou le territoire, ont beaucoup évolué. Les solidarités de proximité qui étaient naturelles ne le sont plus, et notamment à cause de la mobilité des familles et de l'exiguïté des logements. Ce qui entraîne davantage de solitude pour les personnes fragilisées. Notre société doit réinventer ces solidarités.
H.fr : Est-on en mesure de chiffrer le nombre de familles qui s'impliquent au quotidien auprès d'un proche ?
HRC : On les estime, en France, à 8 millions. Mais, sur ce nombre, près de 4 millions sont ce qu'on appelle des « aidants lourds », qui sont parfois mobilisés « H24 » aux côtés d'un proche ! Deux millions d'entre eux n'ont plus de vie personnelle. A 75 %, ce sont des femmes, qui ont tout abandonné, à commencer par leur métier. Et qui risquent, à chaque instant, de tomber dans l'épuisement, voire dans la maladie. N'est-il pas temps de se demander ce que ces gens deviennent ?
H.fr : C'est pourquoi vous avez décidé d'ouvrir la première « maison de répit ». De quoi s'agit-il ?
HRC : Les maisons de répit sont largement répandues en Allemagne, en Angleterre ou au Canada où elles jouent un rôle prépondérant dans le parcours de soins. Ce sont des lieux intergénérationnels, pluripathologiques, qui proposent une trentaine de places pour des séjours en famille lorsque la situation ne permet plus le maintien à domicile.
H.fr : La version française est-elle déjà achevée et à quel endroit ?
HRC : Non, elle n'est pas encore construite. Nous finissons de récolter les fonds mais les choses avancent bien. Elle sera implantée dans un parc de 5 hectares dans l'agglomération lyonnaise. Nous allons créer une « architecture du répit » et une atmosphère propice au ressourcement : pouvoir se reposer, parler mais aussi pratiquer des activités. Nous souhaitons en faire une vitrine.
H.fr : Durant combien de temps les proches peuvent-ils s'accorder cette pause ?
HRC : Trente jours par an. Une sorte de crédit temps fractionné comme ils le souhaitent, en urgence ou en prévention. Nous garderons également quelques chambres pour les situations aigues.
H.fr : Mais des maisons de répit, cela existe déjà depuis trente ans en France…
HRC : Non, il existe des lieux d'accueil temporaires mais qui sont essentiellement destinés aux personnes handicapées. Or, dans le champ de la maladie et pour l'accueil du couple aidant-aidé, il y a très peu de choses. Nous espérons ouvrir une dizaine de maisons en 5 ans.
H.fr : Ce moment de répit pourrait-il être financé par l'assurance maladie ?
HRC : Eh bien pas pour le moment parce qu'il n'est pas encore codifié dans l'offre de soins. Pour le moment… Car nous tentons de convaincre les tutelles que lorsqu'un aidant est à bout, ne travaille plus, ne cotise plus, ne consomme plus et finit à l'hôpital, cela coûte très cher à la société. On a donc tout intérêt à aider les aidants. Il ne s'agit pas forcément de faire des économies mais, à dépenses constantes, d'apporter un soin plus adapté. Comptez 300 euros par jour en hébergement de répit contre 800 en hôpital et jusqu'à 4 ou 5 000 pour les pathologies les plus lourdes.
H.fr : S'occuper des aidants en amont, c'est donc faire des économies ?
HRC : Je ne dis pas cela car si la société devient assez mature pour proposer d'accueillir les personnes malades ou handicapées et de rémunérer les aidants, cela constituera une nouvelle dépense indéniable. Mais face à ces millions de situations de désespérance, un choix politique s'impose !
H.fr : La dimension médicale est l'un des piliers de la Fondation France Répit ?
HRC : Oui, elle a été créée en 2012 par des médecins du centre Léon-Bérard, à Lyon, spécialisé dans le traitement du cancer, et pas seulement par des familles militantes. Dans notre maison, il y aura deux médecins référents et une équipe de soins complète.
H.fr : Mais c'est vous, papa d'une jeune fille atteinte d'une tumeur cérébrale, qui êtes pourtant à l'origine de sa création…
HRC : La maladie de ma fille n'a pas été très invalidante et je n'ai, pour ma part, pas ressenti ce besoin de répit. Après son décès, en 2010, j'ai souhaité remercier le médecin qui l'avait soignée, Matthias Schell, d'origine allemande. Il était chaque jour confronté à des familles à bout et, alors que dans son pays les maisons de répit existent depuis dix ans, il déplorait qu'il n'y en ait pas en France. J'ai abandonné mes fonctions de dirigeant d'entreprise ; j'étais disponible pour me lancer dans cet ambitieux projet.
H.fr : Avec la nouvelle loi autonomie discutée à l'Assemblée, allons-nous vers la création d'un Droit au répit ?
HRC : C'est en tout cas la première fois qu'une loi reconnait le droit au répit pour ceux qui accompagnent une personne âgée dépendante, et ce texte prévoit d'être également élargi au handicap. C'est un premier pas mais il faudra ouvrir le Droit au répit à tous les aidants, quels que soient l'âge ou la situation médicale du proche malade.
H.fr : La Fondation France Répit met également en place un « diplôme de répit ». De quoi s'agit-il ?
HRC : Oui, un DIU (Diplôme inter-universitaire) sera mis en place à la rentrée 2015 avec une centaine d'heures de formation, ouvert aux étudiants et aux professionnels de santé. C'est une question qui n'est pas abordée lors des études de médecine. Il existe déjà un DIU en soins palliatifs mais ce n'est pas le même objectif.
H.fr : A Lyon (Cité des congrès), les 3 et 4 novembre 2014, auront lieu les "1ères Rencontres francophones sur le répit" organisées par votre Fondation ?
HRC : Ce colloque réunira les professionnels de la santé, les acteurs du monde médicosocial, les associations, les décideurs publics et privés et les familles concernées. Plus de 300 personnes sont attendues pour partager leurs expériences et s'interroger sur ces questions (inscription en lien ci-dessous).
H.fr : Depuis quelques mois, le répit est dans toutes les bouches… Un bon espoir que les choses changent ?
RC : Oui, il y a encore deux ans, nous prêchions vraiment dans le désert et aujourd'hui des porteurs de projets nous appellent de toute la France pour être accompagnés. Nous n'avons aucune chapelle à défendre ; il faut que les choses avancent. Cette majorité silencieuse, qui n'a jamais revendiqué faute de temps et de priorités, commence à se regrouper pour faire bouger les choses. C'est la force du collectif !