* Associé au sein du cabinet DBKM avocats et secrétaire général de l'Association nationale des avocats et des praticiens en droit des prestations sociales (Anapps).
Handicap.fr : Quelle est la spécialité de votre cabinet, situé à Lyon (Rhône) ?
Kris Moutoussamy : Nous intervenons dans toute la France (métropole et outre-mer), à plus de 90 % pour des conflits contre les Caf mais également les Départements et le Trésor public.
H.fr : Pour quels types de situations ?
KM : Elles sont nombreuses… Les trop-perçus, les suppressions de droits, les radiations, les retenues, les accusations de fraude… Nous apportons également notre expertise à des associations d'usagers des Caf.
H.fr : Quels abus observez-vous le plus souvent de la part de ces services ?
KM : Voici quelques exemples… Une accusation de fraude en présence d'une simple erreur ou d'une fausse information donnée par la Caf, des retenues faites avant d'avoir notifié une décision d'indu (de dette) à l'allocataire, des retenues intégrales pratiquées sur les prestations de l'usager, sans laisser le minimum vital, des retenues illégales poursuivies pendant l'examen d'une contestation ou encore des pressions exercées sur les allocataires en suspendant leurs prestations, pour faire avouer une fraude qui n'existe pas. Il y en a d'autres…
Alors que la mission première des Caf est de permettre aux usagers de bénéficier d'une assistance pour sortir de la précarité dans la dignité, leur action s'oriente en priorité vers la lutte contre la fraude. Pourtant, le non-recours, c'est-à-dire le fait de ne pas réclamer une prestation dont on peut bénéficier, par ignorance ou par défiance, est aussi un phénomène d'ampleur. On estime, par exemple, qu'un tiers seulement des personnes éligibles au Rsa (Revenu de solidarité active) ou à la prime d'activité en bénéficient effectivement.
H.fr : Quels sont les allocataires qui vous sollicitent le plus souvent ?
KM : Ce sont majoritairement des bénéficiaires du Rsa parce qu'ils sont souvent démunis socialement, n'ont pas forcément l'habitude de demander de l'aide et ne connaissent pas les modalités de recours juridique. Sociologiquement, c'est un public différent des allocataires de l'Aah (Allocation aux adultes handicapés).
H.fr : Avez-vous le sentiment que les allocataires en situation de handicap sont mieux armés pour faire face à des litiges éventuels ?
KM : Oui car, la plupart du temps, ils travaillent ou ont travaillé, ou sont accompagnés par des proches. Ils sont donc dans un parcours différent des autres allocataires. Les personnes handicapées sont souvent déjà suivies dans un parcours d'insertion, notamment via des assistantes sociales qui gèrent leur demande d'Aah. En cas de litige, les allocataires se retournent vers ces dernières ou font leur recours seules dans 80 % des cas.
H.fr : Pour quels motifs vos clients, bénéficiaires de l'Aah, vous sollicitent-ils le plus souvent ?
KM : L'un des points les plus problématiques est la déclaration de la pension d'invalidité. Les allocataires ne savent pas comment déclarer ce substitut de revenus d'activité car le formulaire de déclaration n'est pas adapté. Nous avons notamment écrit à la Cnaf (Caisse nationale des allocations familiales) et à la directrice de la Caf du Rhône pour les en informer mais, selon eux, « il n'y a aucun problème, tout est très clair ». Or, 90 % de nos clients bénéficiaires de l'Aah n'ont pas déclaré leur pension d'invalidité, pensant que c'était une indemnité. Ils ont finalement eu un indu (dette) et, même s'ils mentionnent qu'ils n'étaient pas au courant, ils doivent le rembourser.
H.fr : Que conseillez-vous aux personnes handicapées en cas de litige ? De se tourner vers le médiateur de la Caf ?
KM : Selon moi, cela ne sert à rien en cas de conflit. D'après mon expérience, son rôle est d'intervenir en cas de problème de compréhension. Mais, en cas de blocage juridique, si la Caf considère que la personne n'a pas droit à telle ou telle allocation, le médiateur ne va pas la contredire. Une médiation préalable obligatoire (MPO) est mise en place, de façon expérimentale, dans certains départements, qui implique les délégués du Défenseur des droits (DDD). Le hic, c'est que certaines Caf ont décidé de ne pas jouer le jeu (cela est mentionné également dans le rapport annuel d'activité du DDD). Dans ce contexte, en cas de litige sur l'Aah, par exemple, je conseille aux personnes handicapées de faire leur contestation directement auprès de la Caf. En parallèle, elles peuvent alerter le DDD mais cela n'interrompt pas les délais. En effet, si ce dernier répond trois mois plus tard mais qu'il n'y avait que deux mois pour faire le recours, ou quinze jours dans certaines procédures, c'est trop tard.
H.fr : Une autre option ?
KM : Les allocataires peuvent aussi se tourner vers une association d'aide aux allocataires victimes des Caf pour bénéficier d'une aide juridictionnelle gratuite, selon leurs moyens.
H.fr : En cas de conflit, les allocataires en situation de handicap ont-ils intérêt à se rapprocher de leur Mdph (maison départementale des personnes handicapées) ?
KM : Effectivement, ça peut avoir un impact positif si l'assistante sociale en charge du dossier connaît bien la personne. Mais si c'est vraiment au niveau de la Caf que ça coince, il y a peu de chance que cela change la donne.
H.fr : Quelle est l'ultime étape ?
KM : Saisir le Tribunal judiciaire. La procédure peut se faire sans avocat mais l'intérêt de ce dernier est qu'il sait ce qui peut fonctionner juridiquement ou pas. Souvent, les personnes jouent sur le fait qu'elles ont un indu mais n'ont pas assez de ressources pour le rembourser. Pardon d'être cru mais le tribunal s'en fiche totalement. Le juge judiciaire considère qu'il ne lui appartient pas de gérer les problèmes de précarité, de remise ou effacement de dettes. Nous essayons de plaider pour un revirement de jurisprudence pour encourager la remise de dettes sur ce type de dossiers… Pour l'heure, en vain, mais nous ne lâchons rien. A la différence des autres prestations, l'Aah n'est pas une prestation familiale classique, elle est versée au titre de la solidarité nationale pour les personnes en situation de handicap et relève donc du budget de l'Etat et non de celui des Caf. L'Aah pourrait donc, à ce titre, faire l'objet d'une remise de dettes. Cela fonctionne déjà pour l'aide personnalisée au logement (Apl).
H.fr : Les agents de la Caf ont-ils le droit de faire des visites à domicile ?
KM : Oui, pour procéder à certaines vérifications. En cas de refus, la Caf peut suspendre les prestations de l'allocataire, après l'en avoir informé. Néanmoins, ces contrôles ne peuvent être effectués que s'ils sont nécessaires, par exemple pour vérifier si la personne est en concubinage.
H.fr : En parlant de concubinage... On sait que la prise en compte des revenus du conjoint pour l'Aah est une problématique récurrente. Y a-t-il de nombreux contrôles effectués pour ce public à domicile ?
KM : Statistiquement, les problèmes de fausse déclaration de l'Aah ne sont pas majoritaires. J'ai eu assez peu de cas. L'accusation de concubinage non déclaré concerne majoritairement les bénéficiaires du Rsa.
H.fr : Globalement, les Caf vous semblent-elles un peu « forte tête » ?
KM : Oui, totalement. Les litiges avec les Caf sont techniques et compliqués. Il peut y avoir assez régulièrement des contradictions entre le droit et les pratiques sur le terrain. La Cnaf donne des directives que les Caf appliquent, même si elles sont contraires au droit. Les rapports du Défenseur des droits de 2017 et 2019 sont éloquents sur les irrégularités des procédures (article en lien ci-dessous). Il a dénoncé à plusieurs reprises une « rupture d'égalité entre les allocataires », les Caf effectuant des contrôles selon des critères qui varient anormalement en fonction des départements.
Résoudre un litige ?
Voici la réponse apportée sur le site DBKM avocats:
• Adressez une contestation écrite à la Caf par lettre recommandée avec avis de réception et par email.
• Vous avez reçu une lettre de rejet ou l'administration n'a pas répondu depuis plus d'un à deux mois, selon la prestation ? Préparez le dossier et, dans l'idéal, contactez un avocat à qui vous transmettrez la copie des premiers éléments du dossier.
• Vérifiez si vous êtes éligible à l'aide juridictionnelle via le simulateur dédié :
https://www.justice.fr/simulateurs/aide-juridictionnelle
Si c'est le cas, vos frais de procédure seront alors pris en charge totalement ou partiellement.