Après un préjudice, comment chiffrer la perte de gains pro?

Comment être indemnisé après un préjudice et estimer "justement" la perte des gains professionnels futurs sur toute une vie ? De récentes évolutions dans la jurisprudence favorisent les victimes. 1,3 million € ont ainsi été accordés à un nourrisson!

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Calculette avec le mot « compensation » écrit sur l’écran

Jean Carbonnier, éminent spécialiste du droit privé du 20ème siècle, affirmait : « Il faut réparer le mal, faire ce qu'il semble n'avoir été qu'un rêve ». Cette citation incarne le principe de « réparation intégrale du préjudice ». 

Chiffrer la perte de gains

En droit, réparer le préjudice ne signifie pas rendre ce qui a été perdu mais compenser financièrement la victime. Certains postes de préjudice sont plus faciles à chiffrer que d'autres. La perte de gains professionnels futurs est facilement quantifiable pour les personnes ayant déjà une carrière bien établie mais qu'en est-il des jeunes victimes pour lesquelles toute vie professionnelle semble impossible ?

Cour d'appel de Paris : le cas d'un nourrisson

La jurisprudence récente a apporté des éclaircissements sur ce point. Le 2 mai 2024, la Cour d'appel de Paris (RG n°21/13072) a statué sur l'indemnisation de la perte de gains professionnels futurs pour un nourrisson souffrant de troubles neurologiques causés par une prise en charge fautive d'un état hypoglycémique aigu.

Les demandeurs réclamaient 2,5 millions d'euros pour compenser cette perte. La question se posait : comment justifier une telle demande alors que la victime n'était âgée que de quelques heures ?

Privé de toute vie professionnelle

Les conséquences du dommage étaient telles que ce nourrisson serait privé de toute vie professionnelle future. L'assureur avait proposé 620 000 euros, basant son calcul sur un revenu équivalent au SMIC. Cependant, les juges ont retenu comme référence le salaire net médian pour un homme en équivalent temps plein, versé sous forme de rente viagère. Cette décision a été justifiée par le fait que le salaire médian est le plus représentatif (il s'agit du montant de rémunération qui sépare le groupe étudié en deux groupes égaux), lissant ainsi les disparités de revenus.

Une victoire pour la victime

La Cour d'appel a validé l'utilisation du salaire net médian comme revenu de référence. Ce montant sera actualisé au taux le plus avantageux pour les victimes (en effet la jurisprudence considère que la valeur d'un euro il y a dix ans n'est pas la même que celle d'aujourd'hui compte tenu des inflations diverses) et capitalisé jusqu'aux 65 ans de la victime. Finalement, les juges ont attribué 1,3 millions d'euros à la jeune victime, compensant ainsi l'impossibilité d'envisager toute vie professionnelle future.

Evolution et débat juridique

Depuis plusieurs années, le principe d'indemniser une victime pour la perte de gains professionnels futurs, même avant son entrée dans la vie active, est acquis. Toutefois, le droit évolue avec la société, et la question du montant à utiliser comme revenu de référence reste débattue. La jurisprudence actuelle semble s'orienter vers le salaire médian net, bien que certains avocats continuent de plaider pour le salaire moyen, plus avantageux pour les victimes.

Conclusion

La décision de la Cour d'appel de Paris marque une étape importante dans l'indemnisation des pertes de gains professionnels futurs, notamment pour les jeunes victimes. En adoptant le salaire net médian comme référence, la jurisprudence cherche à offrir une compensation plus équitable, bien que le débat sur le revenu de référence idéal soit toujours ouvert. Les victimes et leurs avocats doivent rester vigilants et bien informés pour garantir une indemnisation juste et complète.

© Stocklib / kchungtw

Auteure : Chloé Bonnardel, avocat à la Cour, intervenant en réparation du dommage corporel et responsabilité médicale. www.bonnardelavocat.fr

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