Par Arnaud Bouvier
Dans l'immense majorité des facultés de psychologie, des approches "non recommandées" par la Haute autorité de santé (HAS) "sont encore enseignées" dans la prise en charge des enfants autistes, déplorent un collectif associatif et une dizaine de scientifiques, dans un récent appel adressé au gouvernement pour que ces formations ne bénéficient plus de financements publics.
Des effets désastreux
Ces méthodes ont des "effets désastreux" pour les enfants autistes, affirment les signataires : "au mieux un retard de diagnostic" et des "interventions inadaptées", au pire "une perte de chance". Dans l'optique psychanalytique, "l'autisme est vu comme un trouble qui se développerait après la naissance à cause d'une mauvaise interaction entre l'enfant et sa mère. Or on sait depuis les années 1970 que c'est faux", s'indigne Magali Pignard, membre de l'association Paari qui regroupe des personnes autistes et a signé l'appel adressé au gouvernement fin 2021. Dans les centres médico-psychologiques, des psys "enfermés dans cette logique", selon elle, ne font pas bénéficier les enfants des thérapies susceptibles de les faire progresser, comme les méthodes comportementales.
Une mère trop fusionnelle
Karine, 35 ans, a vécu cette expérience avec son fils Valentin, avant qu'il ne soit diagnostiqué autiste. Alertée par le comportement déroutant de l'enfant, elle a d'abord été orientée vers un centre d'action médico-sociale précoce (CAMSP), où les professionnels lui ont expliqué que son enfant "n'avait pas de problème" et qu'elle était "trop fusionnelle" avec lui. "On m'a culpabilisée, et on a tenté de contraindre mon fils à rester assis sans bouger, ce dont il était incapable", accuse Karine, "en colère" face à cette "maltraitance". Lorsque les parents désemparés cherchent un psychiatre à même de soigner leur enfant, "c'est la loterie", se désole Florent Chapel, père d'un enfant autiste et co-créateur de la ligne d'écoute "Autisme info service".
"On enseigne encore n'importe quoi"
Car à certains futurs psychologues ou psychiatres, "on enseigne encore n'importe quoi", s'emporte ce militant, qui recense sur le site de son association "uniquement des ressources validées", conformes aux recommandations de la HAS. Même certains étudiants en psychologie s'étonnent de la persistance de ces approches dans leur cursus. "Ils se rendent compte, parfois tardivement, que ce qu'on leur a enseigné n'est pas adapté", souligne Emilie Voisin, elle-même étudiante en cinquième année de psycho et présidente de l'association APSU qui promeut un enseignement de cette discipline "basé sur des preuves scientifiques". Dans ce domaine, "on note des évolutions favorables, mais il reste des résistances, c'est indéniable", convient Claire Compagnon, la déléguée interministérielle chargée de la stratégie autisme.
Un mauvais procès ?
Les pouvoirs publics doivent composer avec le nécessaire respect de "l'indépendance des universités sur les contenus pédagogiques", souligne cette responsable, dont les services s'efforcent pour autant de "labelliser les bons diplômes", et peuvent à l'inverse "décertifier" ceux qui ne sont pas conformes. Les partisans de l'approche psychanalytique de l'autisme, de leur côté, se défendent en soulignant ne pas prétendre "soigner les causes" de ce trouble. "Les psychanalystes de 2021 ont totalement abandonné l'idée que les parents seraient coupables de l'autisme de leur enfant. On nous fait un mauvais procès!", affirme le Pr Bernard Golse, pédopsychiatre et psychanalyste, et président de l'association Cippa qui regroupe des praticiens partisans de cette approche.
La France à la traîne
"La HAS n'a pas dit que la psychanalyse en matière d'autisme n'était 'pas recommandée', mais 'non consensuelle', c'est différent", précise ce spécialiste, pour qui la méthode analytique peut être utile en complément d'autres thérapies, car elle peut aider à "assouplir les mécanismes de défense" que les enfants autistes mettent en place contre des "angoisses très précoces et très intenses", lesquelles "entravent leur développement cognitif". La controverse reste toutefois vive au sein du monde médical. Pour la pédopsychiatre Catherine Barthélémy, directrice du Groupement d'intérêt scientifique "autisme et troubles du neuro-développement", "la France est à la traîne" dans ce domaine et l'"obstination" de certains praticiens en faveur de la psychanalyse est "incompréhensible".