« Grandir avec plusieurs langues peut-il perturber mon enfant autiste ? », « Est-ce que je devrais arrêter de parler ma langue et utiliser la même que l'école et les médecins ? ». Ce sont des questions que se posent certaines familles.
Autiste parlant 7 langues
Pour ce public, les mythes ont la vie dure. Josef Schovanec, philosophe, écrivain et voyageur, ardent militant pour la dignité des personnes autistes, hyperpolyglotte puisqu'il maîtrise au moins sept langues dont le persan, le tchèque ou le finnois, serait-il l'exception qui confirme la règle ?
Recueil de témoignages
Selon les estimations, au moins la moitié de la population mondiale est bilingue. Bien que tous les enfants devraient avoir accès à l'apprentissage des langues (et aux opportunités qui en découlent), ce n'est actuellement pas le cas pour tous ceux avec autisme. Des chercheurs de l'université d'Edimbourg* ont donc mené l'enquête, soutenue en France par la Firah (Fondation internationale de recherche appliquée sur le handicap). Elle s'est construite sur le recueil de témoignages de jeunes avec TSA bilingues.
Un environnement bénéfique
Leur conclusion est sans appel : « Grandir avec plusieurs langues n'est pas mauvais pour les enfants autistes. Cela peut même être bénéfique pour toutes sortes de choses dans la vie. Par exemple, faire partie d'une communauté, développer ses connaissances, avoir accès à plus d'opportunités… ». Elle ne fait que confirmer le résultat d'autres études qui ont montré que les enfants vivant dans un environnement bilingue bénéficient des liens familiaux et culturels étroits que leur procure leur langue commune, et que ces avantages peuvent être associés à un bien-être social et émotionnel et à une meilleure inclusion.
Une gymnastique du cerveau
En 2021, une équipe internationale, dirigée par l'UNIGE (Université de Genève), démontrait que les caractéristiques du bilinguisme permettent aux enfants autistes de « compenser certains déficits fondamentaux ». « Il lui demande de travailler dans un premier temps les capacités directement liées à la théorie de l'esprit, c'est-à-dire qu'il doit constamment se préoccuper de la connaissance d'autrui : est-ce que mon interlocuteur parle grec ou albanais ? Dans quelle langue dois-je m'adresser à lui ? »
Puis, dans un deuxième temps, l'enfant fait appel à ses fonctions exécutives en « focalisant son attention sur une langue, tout en inhibant la seconde », explique Eleni Peristeri, co-auteure de l'étude. Il s'agit d'une véritable gymnastique du cerveau, qui agit justement sur les déficits liés au trouble autistique.
Des pro préoccupés !
Pourtant, certains professionnels de l'accompagnement restent préoccupés par les effets potentiellement néfastes d'un environnement bilingue et recommandent souvent aux parents d'enfants avec un TSA d'abandonner l'une des deux langues pour éviter de complexifier davantage le développement de ses aptitudes communicatives. « Ces recommandations ne sont pas appuyées sur des preuves », et cette recherche suggère que le fait de refuser l'accès au bilinguisme (et à une partie de l'identité d'un enfant) peut avoir des effets néfastes pour lui, notamment une diminution des opportunités de maintenir les liens familiaux et une intégration réduite à leurs pairs et à leur communauté », fait savoir l'étude anglaise.
Des réponses pratiques
Les chercheurs proposent donc une série de conseils concrets aux familles, traduits dans seize langues ! Ces lignes directrices ont été approuvées par le Royal college of speech and language therapists (Collège royal britannique des orthophonistes). Une vidéo, adaptée aux enfants, et coconçue avec un groupe de jeunes chercheurs avec TSA bilingues est également disponible en anglais avec sous-titres dans dix langues.
* en partenariat avec l'Université de Glasgow, Autisme Europe et Bilingualism Matters
© Stocklib johnyf33