Autonomie en cas de handicap : souhait ou (imp)posture ?

L'autonomie des personnes handicapées est dans toutes les bouches. Mais, dans les faits, est-elle vraiment désirée ? La plus grosse part du budget de la CNSA reste dédiée au médico-social. L'autonomie vue par Jean-Luc Simon, un militant concerné...

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82 % des 26,8 milliards gérés par la Caisse nationale de solidarité pour « l'autonomie » (CNSA) sont dirigés vers les établissements médico-sociaux (22 milliards), selon son budget rendu public début décembre 2018 (article en lien ci-dessous). Il est à se demander sur quelle définition de l'autonomie s'appuient ces choix... Quand les mots ont besoin de sens.

Priorité au médico-social

Aujourd'hui, la CNSA semble surtout être celle de l'accompagnement du grand âge, environ 80 % de son budget y est consacré. Principal financeur de ce secteur d'activité, pour ne pas dire « industrie », et fidèle à sa mission dans une vision de l'autonomie tout à elle, cette caisse soutient la « revalorisation des coûts de fonctionnement et des salaires des professionnels », pour le « financement de nouvelles places pour les personnes âgées » ou le « financement des astreintes de nuit dans les EHPAD ». Les permanences de nuit qui permettraient à de nombreuses personnes adultes d'envisager de vivre à domicile et d'accéder ainsi à une plus grande autonomie sont, elles, aux abonnés absents, de toute évidence non mises en valeur. Des fonds sont attribués aux départements et aux services, notamment pour la « professionnalisation de leur personnel » ou leur « formation », mais aussi pour « la recherche » et « pour les projets de vie sociale et collective dans les dispositifs de l'habitat inclusif » ou « l'accompagnement des aidants ». Mais, pour ce qui est alloué directement aux personnes afin de soutenir leurs choix de vie autonome, c'est, seulement, 2,26 % (607 millions d'euros), notamment dans le cadre de la Prestation de compensation du handicap (PCH). Et, pour la formation des aidés et leur autonomie, rien n'apparait.

Quelle définition de l'autonomie ?

Le soutien par les pairs est totalement absent du dossier de presse, l'expertise d'usage, c'est-à-dire des personnes handicapées, n'est citée que dans le descriptif des missions de la CNSA et à aucun moment pour renforcer le rôle des personnes concernées. Les personnes restreintes dans leurs capacités d'autonomie clament depuis de nombreuses années leur volonté d'émancipation et de participation dans l'égalité. Sophie Cluzel, secrétaire d'Etat au handicap, indique la voie de l'expertise d'usage, le soutien par les pairs est encouragé, la désinstitutionalisation voulue par les Nations unies et l'Europe engage la France… Et, pourtant, les institutions chargées de mettre en œuvre les politiques qui en découlent multiplient les messages contradictoires. La loi Elan prépare l'habitat cantonné, et la CNSA, dans le même élan ségrégatif, dirige prioritairement son budget vers les établissements et services, en privilégiant l'emploi et les aidants plus que l'usage et le soutien direct aux personnes.

Des visions contradictoires

De fait, la vision de « l'autonomie » qui anime les citoyens apparaît différente de celle des gestionnaires de la CNSA. Cette vision n'est d'ailleurs définie nulle part, si ce n'est par les personnes concernées comme l'a fait le Réseau européen pour la vie autonome (European network for independent living ou ENIL) en 1992. La définition de la « vie autonome » est tout simplement absente de la loi de 2005. Et l'on voit ici combien elle serait plus utile que celle, bancale, du « handicap » afin qu'un point de référence émerge, que l'objectif soit partagé et que les efforts puissent se concentrer, moins sur ce qui manque et entrave et plus sur les potentiels, les capacités et les voies de leur expression.

Une journée autonomie sans autonomie

Déjà le 17 octobre 2017, lors de la Journée scientifique organisée par la CNSA à Paris sur le « savoir expérientiel » et le soutien mutuel entre pairs, l'idée telle qu'elle fut défendue de l'autonomie a laissé un goût amer. Sophie Cluzel a tout d'abord vanté les mérites de l'expertise d'usage en se référant à son expérience de parent puis a conclu en affirmant « Rien pour nous sans nous », avant qu'une autre maman, venue des Etats-Unis, insiste sur le fait que sa fille ne pouvait avoir accès à l'autonomie. Elle terminera son intervention par une mise en garde de l'assemblée sur les risques de l'autonomie, tant pour celles et ceux qui comme sa fille « ne peuvent pas » que pour la société dans son ensemble qui risquerait, dit-elle, « d'y perdre en cohésion ». Elle osera même reprendre le slogan « Rien pour nous sans nous » alors que, jusqu'à présent,  aucune personne en situation de handicap n'est apparue à la tribune !

Concept de soutien mutuel

Il existe pourtant un concept, celui de « soutien mutuel », qui est mis en œuvre à travers une riche palette de pratiques plus ou moins construites comme la pairémulation©, la pair-advocacy, les patients experts… ou en cours de construction comme pour la pair-aidance, le pair-accompagnement. Ces pratiques, comme les personnes qui les portent, sont pourtant restées invisibles à la tribune, au profit d'une présence presque « étouffante » des parents et des soignants. C'est malheureusement un fidèle reflet des barrières à surmonter pour vivre selon ses choix : l'amour des parents dont il est difficile de s'extraire tant il est nourri d'une inquiétude légitime, la sollicitude des soignants dont il est souvent compliqué de se libérer et la brutalité des rapports sociaux qu'impose la vie au milieu des autres.

Surmonter, contourner ou abattre ces barrières demande des efforts quotidiens et de la force, et c'est la raison d'être du soutien par les pairs : renforcer les capacités et mettre en réseaux pour oser la Vie autonome.

© Dessin : avec l'aimable autorisation de Marker

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