Avec plus d'un français sur cinq concerné, les maladies mentales représentent un « immense enjeu de santé publique », affirme la Fondation FondaMental. Parmi eux, 600 000 sont atteints de troubles bipolaires, soit 1 à 4 % de la population. « Ces dernières années, la recherche sur les troubles bipolaires a considérablement progressé, avec des découvertes majeures sur le plan du diagnostic, de la compréhension des mécanismes sous-jacents et des stratégies thérapeutiques », se félicite sa directrice, le Pr Marion Leboyer. Mais la psychiatrie demeure le parent pauvre de la médecine, « ni vraiment reconnue, ni assez soutenue ». A l'occasion de la Journée mondiale du 30 mars 2021 -en hommage à la date de naissance du peintre Vincent Van Gogh, lui-même atteint de troubles bipolaires-, elle fait le bilan des principaux progrès de la recherche, rassemblés dans un livre numérique (en lien ci-dessous), et lance un appel à la mobilisation : « C'est une pathologie comme les autres qui a besoin d'un grand soutien à la recherche et à l'innovation ».
Troubles bipolaires, quèsaco ?
Classés au sixième rang des maladies les plus invalidantes, les troubles bipolaires apparaissent entre 15 et 25 ans et se définissent par l'alternance d'épisodes dépressifs, souvent extrêmement sévères, et d'exaltations maniaques ou euphories. « Entre ces deux pics, persistent des symptômes résiduels qui ont un impact conséquent sur le pronostic de la maladie (troubles du sommeil et du rythme circadien, troubles cognitifs, problèmes de comorbidités somatiques) et sont à l'origine de grandes difficultés et de handicaps fonctionnels », précise Marion Leboyer.
Une innovation diagnostique nécessaire
En moyenne, « entre le premier épisode et la mise en place d'une prise en charge thérapeutique adaptée, il faut compter dix ans », déplore-t-elle. En cause, notamment : une forte stigmatisation, une organisation des soins « complexe » en France, « où l'on manque de biomarqueurs qui pourraient permettre d'affirmer le diagnostic », explique le Pr Leboyer, évoquant un « besoin criant d'innovation diagnostique ». Malgré des « avancées très importantes », seulement 2 % du budget de la recherche biomédicale est dédié à la psychiatrie, ce qui, pointe-t-elle, « est tout à fait insuffisant ». « Pourtant, l'innovation et les progrès de la recherche scientifique permettent une nouvelle lecture des maladies psychiatriques et ouvrent la voie à l'élaboration de traitements porteurs d'espoir pour les malades et leurs proches », assure Marion Leboyer.
15 centres experts troubles bipolaires
Autres enjeux pour améliorer la prise en charge : comprendre et soigner les cibles cliniques (sommeil, régulation des émotions, surpoids) et découvrir de nouvelles stratégies thérapeutiques (adhésion au traitement, prévenir les rechutes suicidaires, utilisation de la méditation). Pour ce faire, FondaMental a créé quinze centres experts répartis sur le territoire (Besançon, Bordeaux, Brest, Bron, Clermont-Ferrand, Colombes, Créteil, Grenoble, Marseille, Montpellier, Nancy, Paris, Versailles, Brest et Lyon), dont trois en cours d'installation, qui sont à l'origine de « la plus grande cohorte mondiale de personnes atteintes de troubles bipolaires ». Ces centres permettent, en effet, à chaque patient adressé par son généraliste ou psychiatre, d'obtenir un bilan standardisé et exhaustif de son trouble psychiatrique et de son état somatique et cognitif, et ainsi de bénéficier de recommandations thérapeutiques. Première cause d'inefficacité et d'échec thérapeutique ? Le fait de ne pas prendre son traitement. Plusieurs raisons à cela : « Les patients l'oublient, ne comprennent pas à quoi il sert, parce qu'il ne fonctionne pas ou provoque trop d'effets secondaires pénibles, tandis que, chez les patients âgés, les troubles cognitifs entrent en jeu », détaille le Dr Raoul Belzeaux, psychiatre à l'Assistance publique hôpitaux de Marseille (AP-HM).
Les comorbidités somatiques à surveiller
La première cause de mortalité ? Les maladies cardiovasculaires et les cancers. « Les comorbidités somatiques peuvent avoir des conséquences dramatiques, explique Ophélia Godin, épidémiologiste et chercheuse à l'Inserm. Les personnes bipolaires ont un taux de mortalité deux à trois fois supérieur à celui de la population générale, lié principalement à des causes naturelles et non au suicide, contrairement aux idées reçues (même si ce taux est également élevé) ». Deux pathologies somatiques sont particulièrement répandues : le syndrome métabolique (20 % de cas contre 10 dans la population générale), important facteur de risque de maladies cardiovasculaires, et la stéatose hépatique non alcoolique (28 % contre 17 %). Selon les résultats issus de la dernière cohorte des centres experts FondaMental, « deux-tiers des patients ne sont pas correctement traités pour des pathologies cardio-métaboliques », déplore l'épidémiologiste qui exhorte à une « surveillance en routine nécessaire » et une interaction effective entre les médecins généralistes et les psychiatres. Objectif : éviter rechutes, hospitalisations, résistance au traitement et apparition ou aggravation de troubles cognitifs. « La santé mentale et la santé physique sont indissociables ! », martèle Ophélia Godin.
Réguler les émotions
Autre objet de recherche : les facteurs génétiques, qui contribuent fortement à la vulnérabilité des troubles bipolaires. En effet, « 70 % de la maladie peut être expliquée par les gènes », estime le Dr Stéphane Jamain, chargé de recherche à l'Inserm. Une trentaine d'entre eux jouent notamment un rôle dans la communication entre les neurones, via la synapse grâce à des neurotransmetteurs. Le Dr Pauline Favre, chercheuse à l'Inserm, a, quant à elle, mis en lumière les découvertes permises grâce à la neuro-imagerie. Selon elle, « l'instabilité et la dérégulation émotionnelle observées dans les troubles bipolaires pourrait être due à une hyperactivation des régions impliquées dans la réactivité émotionnelle et une hypoactivation des régions frontales impliquées dans le contrôle cognitif de manière générale ». Pour changer la donne, elle mise notamment sur la psychoéducation, une « thérapie de groupe, structurée et spécifique, qui vise à apprendre aux patients à mieux connaitre et gérer la maladie au quotidien ». Plusieurs patients d'une cohorte des centres experts FondaMental ayant suivi ce programme durant douze semaines ont constaté une augmentation de l'activité des régions frontales, d'ordinaire hypoactives. Le Dr Favre planche désormais sur un nouveau projet qui vise à utiliser le neurofeedback en IRM fonctionnelle afin d'apprendre aux patients à contrôler l'activité et/ou la connectivité des régions fronto-limbiques (qui jouent un rôle dans l'olfaction, la mémoire et la régulation des émotions) afin de diminuer les symptômes thymiques (qui concernent l'humeur) résiduels dans les périodes inter-critiques.
Une journée pour lutter contre la stigmatisation
Pour sensibiliser le grand public et balayer les idées reçues sur cette pathologie, FondaMental organise, avec l'association Argos 2001 qui vient en aide aux personnes bipolaires, la 7e édition de la Journée mondiale dédiée, les 30 et 31 mars 2021 (programme complet en lien ci-dessous), sous le haut patronage du ministre de la Santé, Olivier Véran. Plusieurs web-conférences seront proposées, dès 10h30, pour lutter à la fois contre la stigmatisation et l'auto-stigmatisation. Son credo ? « Les maladies mentales, et en particulier les troubles bipolaires, ne sont pas une fatalité ! »