Selon quelques rares études, 50% des personnes aveugles, sans aucune perception lumineuse, en sont touchées. Le rare syndrome Non-24 (connu en anglais sous le nom de «Non-24h Sleep-Wake disorder») se caractérise par des insomnies et des somnolences qui apparaissent périodiquement. Une pathologie handicapante qui concerne essentiellement les personnes ne percevant pas la lumière. Dans d'autres cas, de nombreuses personnes aveugles et malvoyantes rencontrent des problèmes d'insomnies.
L'horloge biologique « déréglée »
Comment expliquer ce phénomène ? Située au milieu du cerveau, l'horloge biologique interne régule, entre autres, la température corporelle, la production de cortisol et de mélatonine… et le cycle du sommeil. Cette horloge tourne, pour la plupart, un peu plus de 24 heures. Lorsqu'elle ne reçoit pas le signal de la lumière du jour, ni l'alternance entre obscurité et lumière, qui est perçue via la rétine, elle tourne encore plus lentement. Ce fonctionnement sans recalage sur 24 heures amène à un dérègelement progressif tous les jours, jusqu'à inverser le jour et la nuit. De quoi perturber le rythme-veille-sommeil.
Insomnies périodiques
Maria Antonia Quera, neurologue à l'hôpital Raymond-Poincaré de Garches et spécialiste des troubles du sommeil, appelle cette pathologie « le libre cours » de l'horloge biologique. « Les personnes aveugles ne perçoivent pas l'alternance lumière-obscurité, explique-t-elle. Dans ce cas, la mélatonine, hormone qui participe également au règlement de l'horloge biologique et qui est habituellement produite le soir, lorsqu'il n'y a pas de lumière, n'est pas sécrétée au bon moment ». En conséquence, les personnes qui en souffrent traversent des périodes de somnolence le jour et d'insomnie la nuit. « Si ce n'est pas clair cliniquement, il faut établir un diagnostic en évaluant le taux de production interne de mélatonine, poursuit Dr Quera. Si, après deux semaines, la production est décalée, on considère qu'il y a libre cours. »
Des conséquences psychologiques
Didier Roche, cofondateur des restaurants Dans le noir ?, où les clients sont servis par des personnes malvoyantes, est aveugle depuis l'âge de six ans. Il a connu de grandes périodes d'insomnie. « Mon sommeil était complètement décalé et de mauvaise qualité, confie-t-il. Je dormais dix minutes, me réveillais en pleine nuit sans pouvoir me rendormir. » Cerise sur le gâteau, ces nuits blanches influent, à la longue, sur l'état psychologique de la personne. « C'est le chat qui se mord la queue, relève Dr Quera. Les troubles du sommeil engendrent une humeur dépressive qui provoque à son tour des insomnies. » Difficulté à trouver ou conserver un emploi, vie sociale perturbée, manque d'énergie… un sur-handicap au quotidien.
La mélatonine contre les nuits blanches
Pour pallier le libre cours, plusieurs pistes sont envisageables. Maria Antonia Quera recommande de faire du sport le matin, au réveil, et d'avoir des horaires réguliers. Pour le trouble Non-24, il n'existe pas, sur le marché, de traitement médicamenteux efficace et sûr. Didier Roche, qui n'est pas atteint par cette pathologie mais qui souffrait d'insomnies, a recours à la prise externe de mélatonine, une ou deux heures avant le coucher. « J'en prends depuis dix ans maintenant, et l'effet est radical ; j'ai retrouvé le sommeil, affirme-t-il. Je connais beaucoup de personnes aveugles autour de moi qui ont été confrontées à ces problèmes. » La mélatonine est notamment utilisée par les pilotes de ligne afin d'adapter leur horloge interne aux décalages horaires. Avant qu'elle ne soit disponible en France, Didier faisait appel à des amis qui lui en rapportaient des États-Unis.
Pour le Dr Quera, le cas de Didier illustre bien la situation de nombreuses personnes aveugles et malvoyantes, plus fréquemment concernées par les troubles du sommeil que les personnes voyantes.
Vers un nouveau traitement ?
En l'absence de traitement efficace, la neurologue a testé la prise régulière de mélatonine sur plusieurs patients atteints du Non-24. Plutôt efficace lorsqu'il s'agit d'autres troubles, son efficacité s'avère très faible chez les personnes atteintes de la pathologie.
Aux États-Unis et en Allemagne, un traitement spécifique a été commercialisé. « Il agit directement sur le récepteur de la mélatonine, explique la neurologue qui l'a déjà prescrit à des patients dans le cadre d'études protocolaires. Au bout de trois à six mois, 60% d'entre eux ont retrouvé le sommeil ; avec quatre ans de recul, nous nous sommes aperçus que le médicament était très bien toléré. » Pour le moment, il n'est pas en vente en France et doit encore être approuvé par la Commission de transparence de la HAS (Haute autorité de la santé) qui doit évaluer sa prise en charge par la Sécurité sociale. Une affaire qui va nous maintenir en éveil…
À noter que la Journée nationale du sommeil aura lieu le 17 mars 2017 ; le sommeil des personnes handicapées était le sujet de la chronique de Philippe Croizon dans le Magazine de la santé en février 2017 (article en lien ci-dessous). Par ailleurs, les laboratoires pharmaceutiques Vanda Pharmaceuticals lancent une enquête nationale (en lien ci-dessous) à ce sujet et invitent les personnes aveugles et malvoyantes à témoigner sur leur rapport au sommeil et leurs éventuelles insomnies.
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