La Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) de Strasbourg a épinglé le 2 février 2016 la Suisse pour son mode de calcul controversé du taux d'invalidité applicable aux travailleurs à temps partiel, une mesure jugée « discriminatoire » car utilisée quasi exclusivement pour des femmes après la naissance de leurs enfants. Cette méthode de calcul, dite « mixte », « s'avère discriminatoire (...) pour la grande majorité des femmes souhaitant travailler à temps partiel à la suite de la naissance de leurs enfants », ont estimé les juges européens. La Cour avait été saisie par une Italienne de 38 ans résidant en Suisse, qui s'était vu refuser une rente d'invalidité, malgré ses douleurs chroniques au dos, après avoir annoncé qu'elle ne souhaitait plus travailler à temps plein depuis la naissance de ses jumeaux en 2004.
Contestation en vain devant les tribunaux suisses
Ce mode de calcul « mixte » prend en compte d'un côté le taux d'incapacité de la personne à garder son activité professionnelle, de l'autre son taux d'incapacité dans ses tâches privées et domestiques. Il aboutit souvent à des situations où la personne perd tout droit à une allocation du fait d'un taux d'incapacité global trop faible. En l'occurrence, ont relevé les juges européens, « il est vraisemblable que si (la requérante) avait travaillé à 100% ou si elle s'était entièrement consacrée aux tâches ménagères, elle aurait obtenu une rente d'invalidité partielle ». L'intéressée avait contesté en vain, devant les tribunaux suisses, le calcul qui lui avait été appliqué, mais la justice helvétique avait estimé que les prestations sociales n'avaient pas pour vocation de « compenser des activités que l'assurée n'aurait de toutes façons jamais effectuées, même en étant valide ».
Une méthode appliquée à 97% aux femmes
La mère de famille s'était alors tournée vers la Cour européenne, en arguant d'une discrimination fondée sur le sexe. Les magistrats européens lui ont donné raison : ils ont relevé que, d'après des statistiques officielles remontant à 2009, les dossiers où cette méthode de calcul « mixte » avait été appliquée concernaient à 97% des femmes. « La méthode mixte ne s'accorde plus avec la poursuite de l'égalité des sexes dans la société contemporaine où les femmes ont le souhait légitime de pouvoir concilier vie familiale et intérêts professionnels », a conclu la CEDH. Cet arrêt n'est pas définitif. Les autorités suisses ont trois mois pour demander un nouvel examen du dossier, ce que la CEDH n'est toutefois pas tenue de leur accorder.
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