Cédric, sourd privé de LSF : un silence dévastateur

Privé de sa langue pendant 25 ans, Cédric Cannone livre son parcours marqué par le rejet de la LSF et la pression constante du monde entendant. Sourd de naissance, il révèle l'impact du manque de communication sur le développement et la santé mentale

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Portrait de Cédric Cannone, souriant, tenant ses deux livres dans les mains.

« Toute ma vie, on m'a forcé à agir comme un entendant. On m'a privé de ma langue, la langue des signes française (LSF), et j'en porte encore les stigmates. » Dans son livre, Le silence du girafon, Cédric Cannone, sourd de naissance, illustre « la difficulté de grandir avec un handicap » dans une société hostile à la différence, et met en lumière la nécessité d'avoir accès à une langue pour « se construire et s'épanouir ».

Une absence de communication destructrice

Dans un pays (pas si) lointain, un girafon est rejeté en raison de ses taches uniques, qui symbolisent sa surdité. Bien décidé à (faire) accepter sa différence, il entame un voyage empreint de doutes, de solitude mais aussi de joie et de surprises. « A travers ce premier opus, je tente d'expliquer comment l'absence de communication peut détruire un être humain », écrit l'auteur de 46 ans. Il incite le plus grand nombre à « plonger » dans son monde pour mieux le comprendre.

« Tu ne signeras pas ! »

Enfant, Cédric découvre la LSF grâce à des camarades sourds de son école spécialisée qui signent pendant la récréation. Il souhaite l'apprendre et propose à ses parents (entendants) d'en faire de même. Refus catégorique. « Ils préféraient que j'utilise ma voix, même imparfaite, plutôt que mes mains pour communiquer », explique-t-il. Un rejet qu'il constate aussi dans le corps médical et enseignant. « Mes médecins ne me donnaient que des conseils visant l'oralisation, témoigne-t-il. Même au sein de mon école spécialisée, certains professeurs insistaient pour que j'apprenne l'oralisation et surtout que je consulte un orthophoniste. »

Des méthodes intrusives

Ces séances, il les déteste, « autant que les visites chez le dentiste ». Mais il « doit » y assister. « Contraint de parler, une obligation institutionnelle ! », selon lui. Une « charge lourde » qui s'ajoute au port forcé des appareils auditifs et à un emploi du temps chargé comprenant également des échanges avec un psychologue. « Ce qui me dérangeait le plus, c'était la méthode utilisée. L'orthophoniste prenait ma main et soufflait dessus, presque en crachant, pour que je ressente le souffle produit par la parole. Elle plaçait aussi ma main sous son menton pour que je sente les vibrations des sons /v/, /p/, /b/, /k/... Je n'aimais pas être touché de la sorte, trouvant cela très intrusif, surtout venant d'un étranger », dépeint cet originaire de Poitiers.

Séances d'orthophonie douloureuses

Ne supportant plus de répéter des mots qu'il ne parvient à « prononcer correctement », il finit régulièrement en larmes. « C'était épuisant, insiste-t-il. Lorsque je résistais, l'orthophoniste pouvait me frapper sur les mains ou me tirer l'oreille. » « Avec le temps, j'ai réussi à comprendre certains mots (par la voix et la lecture labiale) mais, chaque personne ayant une forme des lèvres et un timbre de voix différent, il est difficile de s'adapter lors de chaque nouvelle rencontre », poursuit-il.

« Un spectateur passif de ma propre vie »

Son récit démontre « tragiquement » à quel point le manque de sensibilisation et de soutien peut avoir des « conséquences dévastatrices sur le bien-être des personnes sourdes et leur intégration ». « Le manque d'une communication efficace a tout d'abord ralenti mon développement cognitif et social, déplore Cédric. Cela m'a aussi souvent isolé des discussions familiales et sociales, me faisant devenir un spectateur passif dans ma propre vie. » « Cette exclusion m'a également mis en position de vulnérabilité face à la maltraitance », ajoute-t-il. Par ailleurs, le « stress constant » provoqué par la difficulté de suivre les conversations et de comprendre son environnement, renforce son sentiment d'isolement, le menant progressivement à la dépression.

Apprentissage de la culture sourde... et de soi-même

Après des années de mal-être, à 27 ans, il dit stop ! Bien décidé à reprendre confiance en lui et à se rapprocher de la culture sourde, il entame une formation sur son histoire et son identité. Mais la dépression et le sentiment de rejet sont tenaces. Sa reconstruction prendra du temps… A 38 ans, il reprend ses études à l'université, qui lui permettent d'approfondir sa compréhension de lui-même. Face au manque d'accessibilité, il voit « ses frustrations atténuées grâce à l'utilisation de plus en plus importante d'interprètes, de la visio-interprétation et des sous-titres ».

Méfiance à l'égard des entendants

« Il reste toutefois difficile pour moi de communiquer directement avec les entendants envers qui je suis parfois encore méfiant, sauf en présence d'amis sourds », confie le quadragénaire. Professeur de LSF, il décide, en 2017, d'arrêter de travailler « pour se mettre en sécurité, dans sa bulle ». Depuis, il participe à des conférences et écrit des livres pour encourager « une meilleure compréhension et acceptation des différences ».

Un second livre pour inciter à plus de tolérance

Son petit dernier, La girafe au grand cœur, a été publié le 27 avril 2024. « Alors que le premier s'intéressait à ma jeunesse, mon second ouvrage couvre la période allant de mes 23 à 43 ans et aborde en profondeur, notamment, ma relation avec ma famille et celle que j'ai fondée », révèle Cédric Cannone. Ce père de trois enfants entend ainsi briser les préjugés. Et, au fait, pourquoi cette comparaison avec la girafe ? Il préfère garder le mystère... La réponse dans un troisième ouvrage ?

© Cédric Cannone

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"Tous droits de reproduction et de représentation réservés.© Handicap.fr. Cet article a été rédigé par Cassandre Rogeret, journaliste Handicap.fr"
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