Le monde extérieur, ses imprévus et ses dangers potentiels m'ont toujours fait peur. Trop de bruit, trop de lumière, trop de gens... Je préfère, de loin, le cocon protecteur de ma maison. Les relations ou interactions sociales ? Pas mon fort non plus. A 30 ans, je ne maîtrise toujours pas les codes de communication, sans parler de ma naïveté légendaire... Les plus perspicaces l'auront sans doute compris, je suis autiste Asperger. Cette « différence » m'a valu bien des déboires, m'a causé bien des galères. Mais, au fil du temps, j'ai appris à m'adapter et à dompter mes angoisses... au prix d'efforts quotidiens et d'une énergie considérable. Mon mantra ? « Apprendre d'hier, vivre aujourd'hui, espérer pour demain », dixit Albert Einstein.
Un fonctionnement différent
Le diagnostic est tombé en 2012. Une délivrance, je dirais même une renaissance. On ôtait enfin ce lourd poids de mes épaules, cette épine de mon pied. Cela m'a permis de comprendre qui j'étais réellement et pourquoi je fonctionnais différemment. En somme, de mettre un mot sur mes maux. En voici quelques-uns... Un pull en laine en cadeau pour Noël ? Ma hantise ! Il m'est impossible de porter et même de toucher certaines matières qui me procurent une sensation de picotements, voire de brûlures. De même, certaines saveurs ou textures m'écœurent. J'essaie de goûter de nouveaux aliments mais souvent sans succès, ayant du mal à bousculer mes sens. J'aimerais être un brillant athlète, ou au moins être adroit, mais, au contraire, j'ai deux mains/pieds gauches ! Le soir, j'ai besoin d'un silence total pour préparer mon sommeil. Le son d'une télé, le passage d'un camion, les grincements du plancher… le moindre petit bruit m'empêche de dormir. Vive les boules Quiès !
Parcours scolaire chaotique
Petit, échanger avec des enfants de mon âge ne m'intéressait pas. Nous n'avions aucune passion ni point commun. Considéré comme « hors norme », j'étais souvent mis à l'écart et victime de violences psychologiques et physiques. De ce fait, je n'ai jamais ressenti, et ne ressens toujours pas, le besoin d'aller vers l'autre. Je préférais la solitude ou, à défaut, la compagnie des adultes de qui j'appréciais la maturité et le recul. Il leur arrivait, certes, d'être surpris par mes hobbies, mes sujets de conversation ou encore mes termes « livresques » mais ils ne me jugeaient pas. Quel soulagement ! Quant à mon parcours scolaire, il se résume en un mot : chaotique. Problèmes de compréhension, difficultés à prendre des notes, à comprendre les énoncés et à faire une synthèse, manque d'accompagnement des enseignants... Résultat : un isolement social et un manque de confiance indélébile.
Monde du travail hostile
Maintes fois, j'ai failli baisser les bras, envisagé l'acte fatal, animé par un sentiment d'échec. Mais, grâce au soutien sans faille de ma famille et de quelques amis, j'ai réussi à aller de l'avant. J'ai obtenu mon bac STG avec mention, puis mon BTS et mon permis de conduire. Malgré ces diplômes, le monde du travail s'est montré très hostile, comme pour une grande majorité de personnes handicapées. J'ai finalement travaillé à la CAF, avant d'obtenir un contrat d'accompagnement dans l'emploi (CAE), destiné à faciliter l'insertion professionnelle des personnes rencontrant des difficultés particulières d'accès à l'emploi, en tant qu'assistant de direction dans plusieurs écoles, durant trois ans. A chaque fois, on a félicité « mes compétences, mon sérieux, ma gentillesse » et le travail que j'ai pris plaisir à fournir. Pourtant, au bout du compte, les portes se sont refermées et je me suis retrouvé dans ma chambre à chercher une autre voie mais surtout à m'inquiéter pour mon avenir. Dans ces moments, je suis percuté par de vastes questions existentielles : « Goûterai-je, un jour, aux joies d'une vie agréable, plus adaptée ? »
De l'art de s'adapter
J'ai repris espoir le 13 juin 2019, lorsque j'ai été engagé comme volontaire en service civique au sein du groupe Ephese, spécialisé dans l'action sociale. Ma mission : promouvoir l'accès au droit et à la santé des usagers en situation de handicap et de leur représentant, dans le département de l'Aisne. J'ai notamment effectué des journées d'immersion au sein de différents établissements spécialisés et, je peux vous l'assurer, être un professionnel du médico-social n'est pas chose aisée. C'est un emploi énergivore qui nécessite un mental d'acier et une volonté de plomb. Mon contrat s'est, depuis, achevé, je suis donc à la recherche de nouvelles opportunités mais la crise sanitaire actuelle complique mes plans... En parallèle, j'essaie de mettre en place des rituels qui me permettent d'anticiper des situations inconnues. Avant de sortir, par exemple, je me prépare mentalement aux éventuelles sources de stress, j'imagine les bruits avant d'y être confrontés, ce qui permet de les atténuer.
Un torrent d'inclusion ?
Beaucoup réduisent le handicap à la notion de dépendance, d'exclusion, d'irresponsabilité et d'insensibilité... Mais être handicapé, en 2020, c'est vouloir obtenir la liberté de vivre, de penser, de s'exprimer, d'avoir des droits et des devoirs. Bref, vivre comme tout le monde dans le respect, la dignité et l'égalité. Au XXIe siècle, le combat pour l'intégration et l'acceptation du handicap demeure encore un véritable parcours du combattant. Mais je garde bon espoir car, comme le dit un proverbe canadien, « Les p'tits ruisseaux font les grandes rivières ». Qu'attendons-nous pour remplir un océan ?