L'Élysée avait prévenu, il n'y aurait pas d'annonces, disons « spectaculaires ». Ce fut effectivement le cas. Peut-être l'assemblée attendait-elle un miracle, elle en sera quitte pour de la « bienveillance ». Si l'on interroge le dictionnaire, « bienveillance » signifie « disposition favorable à l'égard de quelqu'un ». « Favorable », voilà c'est exactement cela. Des intentions, des discours et des attitudes favorables à l'égard des personnes handicapées. Mais qui ne font pas forcément manger, travailler, éduquer ou soigner son homme (ou sa femme !). Alors qu'espérer de plus concret ?
Un même constat
Lors de la 3e CNH (Conférence nationale du handicap) qui s'est tenue le 11 décembre 2014, les associations disent être restées sur leur faim. Pourtant François Hollande partage avec elles un même constat, les personnes handicapées sont encore trop exclues de notre société : absence de reconnaissance par nos concitoyens de leur pleine citoyenneté, cité inaccessible à près de 12 millions de personnes, lourdeur administrative pour la reconnaissance de leurs droits, le chômage qui les touche deux fois plus, trop de personnes et d'enfants sans solution d'accompagnement…
Quels engagements ?
Les engagements de ce gouvernement ne manquent pourtant pas ; il serait inconvenant de le nier. Mais jamais assez, jamais assez vite pour ceux qui vivent (subissent ?) la situation de handicap au quotidien. Les lois, les mentalités et les individus n'avancent pas au même tempo. Des résolutions sont venues étoffer le discours présidentiel : engagement de maintenir le rythme d'augmentation des dépenses, création d'une centaine d'unité d'enseignement à l'école, mutualisation possible des prestations de compensation, 1 000 aides au poste pour les entreprises adaptées, la prise en compte au titre de l'obligation d'emploi de 6% de la sous-traitance passée avec les travailleurs handicapés indépendants, un service civique étendu à 30 ans pour les personnes handicapées, un allongement du délai d'attribution de l'AAH à 5 ans... D'autres encore.
Et la question des ressources ?
Trop peu pour calmer les attentes des associations ? Il est vrai que les termes employés par le Président peuvent laisser place à toutes les suppositions : « il faut », « on doit », « on devrait ». François Hollande emprunte même à Jean Cocteau une jolie formule : « Passer d'un regard qui dévisage à un regard qui envisage ». Envisage ! Quand les personnes concernées rêveraient d'un calendrier précis, et surtout fixe. C'est le cas de l'Unapei (Union de personnes handicapées mentales) qui « regrette qu'aucune réelle impulsion nouvelle ne soit donnée » et surtout que « contrairement à son engagement, le Chef de l'État passe sous silence la première source d'exclusion des personnes handicapées, leur niveau de ressources. » Sempiternelle colère, bien légitime : l'AAH à 800 euros, inlassablement en dessous du seuil de pauvreté. Ah, cette fichue crise !
Des initiatives qui marchent
Une chose est sûre, personne ne s'attendait à refaire le monde en trois heures. Certains l'ont pourtant tenté. Des exemples à suivre, qui ont fait fi des immobilismes et des préjugés. Trois « civils » réunis autour du Président pour une cinquième table ronde sur le thème « Inclusion : une société innovante et bienveillante ». Orianne Lopez est étudiante en médecine et athlète handisport, également conseillère municipale, travaillant notamment à l'accessibilité des lieux publics pour les personnes handicapées. Une étudiante handicapée en médecine, c'était à peine concevable lorsqu'elle a débuté son cursus. Elle a pourtant relevé le défi ! A cette table, il y a aussi Tcherno Balde, co-fondateur, avec handicap.fr, de Handy2day, qui organise deux fois par an un salon de recrutement en ligne qui rapproche personnes handicapées et entreprises. La session d'octobre 2014 a permis d'organiser 4 000 entretiens pour 30% de travailleurs embauchés, majoritairement en CDI. Il y a enfin Anne Picq, directrice des publics au Musée du quai Branly, qui mène une politique exemplaire en matière d'accueil de tous les publics. Leur engagement a prouvé que le plus improbable, voire le plus contraignant, est souvent réalisable.
Essaimer au-delà du cercle d'initiés
François Hollande tente de convaincre que « la valorisation de la différence est une chance pour tous ». Il prêche devant un parterre convaincu. Mais comment essaimer toujours plus loin, plus fort, plus vite ? Au-delà du cercle d'initiés. Comment débarrasser le passant de son regard plein de préjugés, comment convaincre le manager que son organisation ne va pas sombrer dans un précipice en embauchant un collaborateur handicapé, comment faire comprendre à un commerçant que l'accessibilité c'est bon pour son business ou à un parent que son enfant a tout à gagner à étudier aux côtés d'un camarade autiste ?
La responsabilité de chacun
Les politiques ne portent pas seuls cette responsabilité ; les Français doivent aussi se « mouiller ». Notre chère « bienveillance » réclame une mobilisation à la fois personnelle et collective. Et si la CNH doit avoir lieu tous les ans, comme l'a annoncé le Président, tant mieux ! Certes une piqure de rappel à défaut de vaccin mais pourquoi s'en priver ? Quelques medias feront certainement le déplacement. Une campagne nationale de sensibilisation est également prévue en 2015. La France verra, regardera… François Hollande achève son discours par ces mots, « celui qui est indifférent est aveugle ». Alors ne prenons pas le risque de perdre la vue…