Mésentente entre deux parents sur l'accueil de leur enfant handicapé dans un établissement spécialisé, brouille d'une fratrie autour d'un parent dépendant... Parfois, lorsque des décisions importantes doivent être prises pour un proche en situation de handicap, certaines familles entrent en conflit, se déchirent... Comment sortir de l'impasse ? En faisant appel à un « médiateur familial ». Nouvellement sollicité dans le champ du handicap, ce tiers neutre permet pourtant de débloquer des situations difficiles et d'apporter l'apaisement. Tout savoir en douze points via l'expertise d'Aude Chapron et Audrey Villatte, qui achèvent leur formation de médiatrice familiale.
Handicap.fr : Quel est l'objectif de la médiation familiale ?
Aude Chapron et Audrey Villatte : La médiation familiale est une proposition, pour des personnes en conflit, de venir échanger dans un espace dans lequel les émotions sont accueillies. Le médiateur familial les accompagne dans la recherche de solutions. Elle se déroule dans un cadre sécurisant dans la mesure où l'espace proposé est libre et protégé :
• Libre : les personnes doivent accepter d'entrer en médiation et sont libres de l'arrêter quand elles le souhaitent. Cela signifie également qu'elles doivent être en mesure de s'exprimer librement durant les séances ; c'est pour cette raison que la médiation familiale n'est pas possible dans un contexte de violence.
• Protégé : dans le sens où les échanges pendant les séances sont confidentiels ; les personnes s'y engagent mais aussi le médiateur familial. Celui-ci veille également au respect de la parole de chacun et à l'importance de parler pour soi.
H.fr : Des situations dans le champ spécifique du handicap pour lesquelles il peut être conseillé de faire appel à un médiateur ?
• Choix de vie à faire pour la personne en situation de handicap (institution, opération ou traitements médicaux, mesures d'incapacité...),
• Choix de vie pour les proches (suspension de son activité professionnelle pour s'occuper de son enfant, gestion de la famille, organisation, prise en compte des efforts réalisés pour la personne en situation de handicap…),
• Réflexion sur la prise en charge financière par la famille (quand l'un des deux cesse son activité pour s'occuper de son enfant, quand il faut payer certains biens comme un fauteuil roulant onéreux ou des travaux dans la maison pour permettre d'accueillir une personne invalide),
• Renouement du dialogue entre des personnes que l'existence du handicap a pu éloigner. Parfois l'un des parents n'accepte pas la situation et préfère fuir. Revenir devient alors très compliqué. Le recours à la médiation familiale peut favoriser la reprise du dialogue au sein de la famille et permettre à chaque membre de parler de ses ressentis.
H.fr : Vous dites que des « familles peuvent parfois être réticentes à la mise en place de certaines mesures, souvent indispensables pour leur proche », des exemples ?
AC et AV : L'installation d'une personne âgée en résidence senior ou d'un enfant handicapé dans une institution est une décision difficile à prendre, par exemple à cause du sentiment d'abandon ou de l'impact financier. Cela peut également concerner le choix d'un traitement médical, d'une opération importante pouvant laisser des séquelles mais en même temps être très bénéfique pour la personne. Face à ces dilemmes, des conflits peuvent surgir. La religion est parfois présente, la morale et les valeurs aussi. Par exemple, est-ce que l'on mène une grossesse à terme sachant que son enfant ne sera peut-être pas viable ou très probablement malade ou handicapé ?
La médiation aidé-aidant implique parfois des époux qui ne savent pas s'organiser ou des frères et sœurs autour d'une personne vulnérable. Ils n'ont pas le même vécu, certains se sentent exclus car celui qui aide a souvent une proximité plus importante que les autres avec l'aidé. La médiation permet aussi aux personnes vulnérables de retrouver leur place, au centre des discussions. La présence d'un tiers facilite cet échange.
H.fr : Qui peut demander une médiation et comment ?
AC et AV : Il s'agit d'une démarche libre et volontaire. N'importe qui peut venir s'informer sur la médiation familiale. Mais elle implique nécessairement que les personnes concernées par le conflit soient présentes ensemble au rendez-vous. Faire venir l'autre en médiation est parfois le début d'une réinstauration de dialogue !
H.fr : Où trouver un médiateur ?
AC et AV : Les médiateurs familiaux exercent soit en libéral, soit dans des services conventionnés. Vous pouvez contacter la CAF (Caisse d'allocation familiale) de votre département pour avoir les coordonnées des centres agréés ou tout simplement chercher sur internet les associations de médiation à proximité. Les associations organisent souvent des permanences dans les mairies, dans les tribunaux ou dans les maisons de justice.
H.fr : Les établissements médico-sociaux peuvent-ils proposer leur propre médiateur ?
AC et AV : Ils sont souvent informés de la médiation familiale par le biais d'associations mais la demande n'est pas assez importante pour qu'ils aient leur propre médiateur.
H.fr : Cette aide est-elle payante ?
AC et AV : Oui, mais les tarifs diffèrent selon que vous ayez recours à un cabinet libéral ou une association subventionnée par la CAF. Dans ce deuxième cas, elle peut prendre en charge une partie des honoraires. Le tarif dépend alors d'un barème calculé selon les revenus, variant de 2 euros à... 131 euros par personne. Chacun paye pour soi et l'entretien d'information n'est pas payant.
H.fr : Comment se passe une médiation, concrètement ? Combien de temps, à quel endroit ?
AC et AV : En général, un premier rendez-vous est pris avec les personnes (ensemble ou séparément), c'est l'entretien d'information, qui doit confirmer qu'elles sont au bon endroit. En effet, un conseiller conjugal, un thérapeute familial ou individuel peut parfois s'avérer plus adapté. Ensuite, il s'agit généralement de séances d'une heure trente, espacées d'une quinzaine de jours, sauf si les personnes souhaitent des modalités différentes. La médiation est un processus assez court, en général trois ou quatre séances, mais la règle n'est pas rigide. Les entretiens sont totalement confidentiels. Le rôle du médiateur est d'accompagner les personnes, de les soutenir dans leurs échanges. Souvent les personnes ont besoin de se dire leur ressenti et d'exprimer leurs besoins, avant de chercher une solution qui puisse leur convenir. Le médiateur n'est pas là pour juger, et encore moins pour prendre parti. Il ne prend aucune décision. Parfois, des médiations avec deux médiateurs sont organisées, notamment quand il y a un nombre important de participants.
H.fr : Cette démarche permet-elle réellement de résoudre les conflits ?
AC et AV : Si la majeure partie des médiations aboutissent favorablement, avec la mise en place d'accords écrits (par exemple, une convention parentale suite à une séparation pouvant être homologuée par le juge) ou oraux, parfois réunir deux personnes dans la même pièce permet le début d'une reprise de dialogue, ce qui est déjà une réussite en soi. Si une nouvelle difficulté survient, elles seront peut-être plus à même de trouver la solution elles-mêmes.
H.fr : Où est née la médiation familiale ?
AC et AV : Apparue aux États-Unis, elle s'est développée dans les années 70. Le Canada est, quant à lui, très en avance. C'est d'ailleurs le développement de la médiation familiale au Québec qui a favorisé son émergence en France. L'Union européenne encourage activement le recours aux modes alternatifs de règlement des conflits dont fait partie la médiation. Certains pays, notamment la Belgique, sont plus avancés que d'autres.
H.fr : Et en France ?
AC et AV : Elle apparaît dans les années 80 et se développe, notamment, face à la surcharge des tribunaux. En matière familiale et dans le ressort de plusieurs tribunaux judiciaires, elle est même parfois obligatoire (c'est la « tentative de médiation familiale préalable obligatoire »). Ce nouveau dispositif implique qu'une personne qui souhaite modifier une précédente décision du juge aux affaires familiales ou une convention homologuée par le juge et déposer ainsi une requête auprès d'un des tribunaux concernés, doit désormais préalablement effectuer une tentative de médiation familiale, sans quoi le juge pourra déclarer d'office la demande irrecevable et ne l'examinera pas. Les objectifs de ce dispositif sont de responsabiliser les parents et les inciter à dialoguer pour résoudre leur différend et ainsi désengorger les tribunaux en évitant le recours systématique au juge. Pour l'instant, il s'agit d'une expérimentation mais qui a été prolongée et étendue à de nombreuses juridictions. Initialement, la médiation familiale était plutôt réservée aux couples en instance de divorce ou de séparation mais son champ d'application s'élargit au fur et à mesure et il s'avère qu'en matière de vulnérabilité, elle peut être très aidante. La médiation entre parents et adolescents est également très appréciée et se développe.
H.fr : Des détails sur votre diplôme ?
AC et AV : Le DEMF existe depuis 2003, avec une formation théorique de 490 heures (comprenant du droit, de la psychologie, de la sociologie) et 105 heures de stage. Certaines personnes exercent la médiation familiale à temps plein (parfois en institution et en libéral), d'autres n'en font qu'une activité partielle (c'est le cas notamment de nombreux avocats).
Conflit familial et handicap : un médiateur peut vous aider
Désaccord entre parents d'enfant handicapé ou autour d'un proche aidé... Lorsque le conflit s'installe dans la famille, un tiers neutre permet parfois de sortir de l'impasse. C'est le médiateur familial, une profession à part entière. Où le trouver?
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