« Permettez-moi, Monsieur le directeur général, l'ultime honneur de ne pas vous saluer » ! C'est par ces mots que Thomas Dietrich achève sa lettre de démission. Il fut, de mars 2015 à février 2016, responsable du secrétariat général de la Conférence nationale de santé qui, constituée de 120 membres représentant l'ensemble du paysage de la santé, a pour mission de rendre des avis indépendants pour éclairer, notamment, les parlementaires et le ministère. Cette missive signée et rendue publique le 19 février 2016 est adressée au Directeur général de la Santé, Benoît Vallet, son supérieur hiérarchique. Courte et expéditive, elle s'accompagne néanmoins d'un brûlot de 28 pages contre le Ministère de la santé (en lien ci-dessous) adressé à l'Inspection générale des affaires sociales (Igas). Il est intitulé « Démocratie en santé : les illusions perdues ».
« Une mascarade montée par les politiques »
Ce diplômé de Sciences Po et romancier (il vient de publier Les enfants de Toumaï chez Albin-Michel) y dénonce le peu d'intérêt porté aux grandes questions de santé comme la vaccination, la fin de vie ou encore l'e-santé. Selon lui, « la démocratie dans le domaine de la santé n'est qu'une vaste mascarade montée par les politiques ». Elle « n'est pas la reine de l'échiquier ; elle en est le fou. Et avec elle, tous ceux qui y croient ; ces bénévoles, usagers, professionnels de santé, élus, partenaires sociaux, qui donnent de leur temps et de leur énergie dans des instances nationales (CNS, CNCPH, CNRPA), territoriales (CRSA, Conférences de territoire) ou liées à un établissement de santé (CRUQPC, CVS) ; ceux-là même qui croient que la réflexion issue du terrain fera évoluer notre système de santé, alors qu'elle ne servira que de faire-valoir. »
Le CNCPH à la solde de la ministre ?
Thomas Dietrich n'y va pas de main morte : « colères irrationnelles » « autoritarisme blessant », « propos déplacés et plus retors encore », « promesses fallacieuses »… Son pamphlet décrit l'ambiance de travail auprès de Marisol Touraine (ministre de la Santé) et le mépris de certains de ses collaborateurs sur des sujets qui nourrissent ou devraient nourrir le débat sociétal. Le champ du handicap n'est pas épargné : « Par exemple, une réforme est actuellement en cours au Conseil national consultatif des personnes handicapées (CNCPH) qui vise à augmenter considérablement le nombre de personnalités qualifiées (jusqu'à 15 !), dont la nomination serait bien entendue à la main de la Ministre. » Et de conclure : « Toutefois, malgré ma déception et un sentiment cuisant d'échec, ce que j'emporte avec moi sans un pli, sans une tache, ce n'est pas seulement mon panache comme Cyrano de Bergerac, c'est le souvenir de tous ceux qui croit en ce bel idéal qu'est la démocratie en santé, ceux qui, fonctionnaires, représentants d'usagers, professionnels de santé et j'en passe, se battent au quotidien, en région ou à Paris, pour que la parole des invisibles/impatients en santé soit entendue. »
Fonctionnaire et lanceur d'alerte
« Je démissionne parce que je n'ai rien à perdre, je suis libre. Je sais que je risque des sanctions en tant que fonctionnaire, mais je ne pouvais pas continuer comme ça ». Thomas Dietrich vient-il grossir les « maigres » rangs des lanceurs d'alerte dans le domaine de la santé (articles en lien ci-dessous) ? Selon l'association Handi'Gnez-vous ! qui milite pour dénoncer l'omerta sur la maltraitance des enfants handicapés dans certains établissements médico-sociaux, il n'y a pas de doute. Après lecture de ce rapport, elle tient à saluer l'acte citoyen et le courage de Thomas Dietrich. « Nous savons, par expérience, toutes les pressions qu'il risque de subir et le soutiendrons dans ses démarches si besoin, assure Céline Boussié, sa présidente. »
© Sandrine Expilly (Albin Michel)