Par Amélie Baubeau
Sur près de 2 000 demandes d'indemnisations déposées, seuls 31 dossiers ont abouti actuellement via ce fonds de dédommagement à l'amiable, créé en 2017. "Le dispositif ne fonctionne pas. Il est urgent, vu le nombre de victimes, que ça s'accélère", juge Marine Martin, mère de deux enfants touchés, qui a dénoncé le scandale lié à la prescription de Dépakine à des femmes enceintes alors que ses dangers pour le foetus étaient connus.
Responsable de handicaps
Le valproate de sodium, commercialisé par Sanofi sous le nom de Dépakine (antiépileptique) et de Dépakote (traitement des troubles bipolaires), est responsable depuis 1967 de malformations chez 2 150 à 4 100 enfants, et de troubles neuro-développementaux chez 16 600 à 30 400 enfants, selon l'Assurance maladie et l'Agence du médicament (ANSM). Le dispositif de dédommagement, chapeauté par l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux (Oniam), "a nécessité un délai de mise en oeuvre en raison de la complexité du sujet", indique à l'AFP le ministère de la Santé. Malgré les progrès accomplis dans l'examen des dossiers, "ce délai (...) est difficilement compréhensible pour les victimes et il devient désormais impératif d'accélérer la procédure d'indemnisation et de l'améliorer au bénéfice des victimes", reconnaît la même source.
Evaluer les dommages
Selon Marine Martin, qui préside l'association de victimes Apesac, le gouvernement déposera début novembre un amendement au projet de loi de finances 2020, dont l'examen a débuté à l'Assemblée nationale, pour fusionner les deux instances chargées d'examiner les demandes. Cette possibilité est "sérieusement étudiée", selon le ministère. Actuellement, les dossiers passent d'abord devant un collège d'experts, composé de médecins et de juristes chargés d'établir si les troubles de la victime sont bien imputables à la prise de Dépakine par sa mère pendant la grossesse. Si la réponse est positive, un comité d'indemnisation identifie ensuite les responsables (le laboratoire Sanofi, l'Etat et/ou le médecin prescripteur) et évalue la gravité des dommages subis. Les députés avaient adopté à l'unanimité une résolution favorable à une telle fusion en juin. Outre la lenteur du processus, Marine Martin dénonce les décisions du comité d'experts qui, selon elle, "refuse de prendre en compte certaines données scientifiques" pour déterminer à partir de quand les dangers de la Dépakine pendant la grossesse étaient connus. Elle évoque aussi, comme dans son cas personnel, des diagnostics d'autisme posés par des centres spécialisés et reconnus par des tribunaux administratifs mais "remis en cause" par les experts.
Indemnisations au rabais
"Je ne désespère pas qu'avec la nouvelle instance nous aurons des personnes mieux disposées à respecter le travail fait par des spécialistes" de la toxicité du valproate pour le foetus, déclare-t-elle, dans une lettre aux adhérents de l'Apesac. L'association critique aussi des "indemnisations au rabais" proposées. L'Oniam a annoncé la semaine dernière avoir fait des offres dans 31 dossiers, pour un total de 6,5 millions d'euros. L'organisme avait précédemment rendues publiques les deux offres les plus élevées, accordées à des victimes lourdement affectées : 1,3 million d'euros en mai et 2 millions en septembre (article en lien ci-dessous). Mais, selon Marine Martin, les autres propositions sont beaucoup moins élevées, notamment pour les "victimes indirectes" (parents et fratrie), et ne correspondent pas à la réalité des besoins pour prendre en charge au quotidien les enfants handicapés. Elle évoque une offre de 4 500 euros pour une femme ayant réalisé une interruption médicale de grossesse à six mois de grossesse, le fœtus souffrant d'une grave malformation neurologique. "Beaucoup de familles (...) nous appellent pour nous exprimer leur mécontentement", assure-t-elle.
L'Apesac appelle enfin Sanofi à assumer sa responsabilité en contribuant à l'indemnisation, ce que le groupe pharmaceutique refuse. L'Oniam intervient alors en substitution pour formuler une offre aux victimes, et se retournera ensuite contre le laboratoire. Mais les procédures civiles peuvent durer "jusqu'à dix ans", souligne Marine Martin, estimant qu'"on ne peut pas laisser ça à la charge des contribuables".