Claude Carvalho* est malvoyant à 80 %, papa solo. Pour accompagner son fils Adam* de trois ans à l'école, à Poissy (Yvelines), il doit parcourir 700 mètres à pied. C'est peu mais, pour lui, le chemin est semé d'embuches (trottoirs mal entretenus, racines, chantier, passage de camions…). Trop dangereux ! Des journalistes du site Actu 78 ont fait le parcours à ses côtés, confirmant les difficultés. Alors, en novembre 2022, il fait une demande de dérogation pour que son fils soit scolarisé dans une maternelle de la ville voisine de Chambourcy. Trois kilomètres, certes, mais un sentier piéton l'emmène à l'arrêt de bus qui le dépose juste devant l'école.
Avis défavorables !
Dans un premier temps, avis défavorable de la ville de Poissy, qui finit par changer de position après avoir saisi l'enjeu de cette demande. Trop tard ! C'est au tour de Chambourcy de dire non au motif qu'elle ne répond à aucun critère valable de dérogation défini par l'Education nationale. Et elle est dans son bon droit ! Légalement, Claude, parent en situation de handicap, n'entre dans aucune case. Interrogé par Handicap.fr, le ministère fait valoir que « la personne étant adulte, handicapé et citoyen », le ministère délégué aux Personnes handicapées pourrait être « une piste » ; malheureusement, il n'a pas répondu à notre sollicitation. L'Education nationale nous encourage également à interroger le milieu associatif. Dont acte !
Un « sujet vierge »
Coup de fil au collectif « être parHANDs », qui regroupe des parents en situation de handicap. Des histoires comme celle de Claude, ils n'en ont jamais entendu parler mais peuvent témoigner que « les parents handicapés ne sont pas au centre des dérogations et que le système ne tient pas compte de leurs spécificités et de certains besoins alternatifs ». Carine Moiroud, membre du collectif, renchérit : « Souvent on ne conçoit même pas qu'une personne handicapée puisse être parent d'élève ». A l'occasion d'actions de sensibilisation sur ce sujet auprès des équipes enseignantes, ils ont entendu un inspecteur dire : « J'imaginais bien qu'il y avait des enfants en situation de handicap mais je n'imaginais pas qu'il y avait aussi des parents en situation de handicap ! » SIC !
Une discrimination à large spectre…
Même constat du côté d'APF France handicap. « Contrairement à l'école inclusive en faveur des enfants en situation de handicap, la parentalité au sein de l'école est un sujet vierge, inexploré par l'Education nationale et laissé à la bonne volonté des établissements », explique Bénédicte Kail, sa conseillère nationale éducation et familles (Lire : Accès à la parentalité : "parent pauvre" du handicap?). Elle observe que « des parents rencontrent des obstacles pour assister aux conseils de classe ou aux rencontres parents-prof, la direction refusant par exemple de les déplacer au rez-de-chaussée ».
L'institution seule en cause ? Pas vraiment ! Carine Moiroud ouvre le débat en citant le cas d'une maman d'élève avec une maladie chronique qui n'avait pas été admise par les autres parents pour les représenter car ils ne la jugeaient pas fiable à cause de ses risques d'absence.
Et pour Claude et Adam ?
Depuis, la situation du duo Carvalho s'est enlisée, malgré un imbroglio d'interventions en sa faveur : le ministre de l'Education a écrit au recteur, le cabinet du Président de la république a écrit au recteur, la ministre aux Affaires familiales a écrit au ministre de l'Education… Des députés aussi, qui lui ont souhaité « bon courage ». Début novembre, on lui propose enfin une autre école… encore plus inaccessible ! Trois heures de transport par jour aller-retour avec un changement de bus par trajet, de la marche dans un secteur à forte affluence et trafic, soit 12 heures de transport en commun par semaine, 48 heures par mois…
« En parler pour faire bouger »
Rectorat, mairies, académie de Versailles, entre lettres mortes et promesses de rappel sans suite, sa situation reste inchangée début 2024. « Et tout ça pour l'inscription en première année de maternelle d'un enfant de trois ans », s'impatiente Claude, assurant malgré tout qu'il va « continuer le combat ». « Le cas cité est très particulier mais il est nécessaire d'en parler pour faire bouger les choses, insiste le Collectif être parHANDs. Cet homme a décidé de se battre quand d'autres laissent souvent tomber. Il le fait pour sa propre sécurité et surtout celle de son enfant. »
* Les noms ont été changés
© Photo d'illustration générale