Penser pour encourager l'égalité femmes-hommes, l'écriture inclusive, avec ses points dans les mots, est considérée par certains comme un obstacle pour les enfants dyslexiques. C'est ce qu'estime Françoise Nyssen, ministre de la Culture, tandis que des associations et orthophonistes s'interrogent. « Une chose qu'on n'a pas assez notée : comment font les enfants dyslexiques pour s'en sortir avec cette écriture-là ? », s'est interrogée Mme Nyssen le 27 octobre 2017 sur France Inter, après que l'Académie française eut qualifié, la veille, l'écriture inclusive de « péril mortel » pour notre langue.
Écrire en épicène
« Je ne suis vraiment pas pour », a-t-elle ajouté, se disant en revanche favorable à la féminisation des noms (« autrice », par exemple). Selon ses promoteurs, l'écriture inclusive est un outil destiné à lutter contre les stéréotypes liés aux sexes et les inégalités entre les femmes et les hommes. Outre la féminisation des noms, elle prône l'utilisation à égalité du féminin et du masculin, en écrivant par exemple des ingénieur.e.s ou des salarié.e.s. C'est ce qu'on appelle l'écriture épicène. « Ça peut compliquer la lecture pour les élèves dyslexiques », estime Agnès Vetroff, présidente de l'Association nationale des associations de parents d'enfants dyslexiques (Anapedys), interrogée par l'AFP.
Pas une « entrave majeure » ?
« Mettre un point devant les e, ça n'est pas simple, alors que la ponctuation est déjà difficile à acquérir », poursuit-elle. En écriture épicène, le fameux point (appelé « point-milieu ») est toutefois placé au milieu de la ligne et non en bas comme le point final. La présidente d'un autre groupe d'associations, la FFDys (Fédération française des dys), juge celle que l'écriture inclusive « n'est pas une entrave majeure ». « La FFDys n'a pas d'avis sur l'écriture inclusive, mais mon avis personnel c'est qu'il est réducteur de dire qu'on ne doit pas l'appliquer au motif qu'elle entraverait la lecture des dyslexiques », affirme Nathalie Groh.
Confusion pour traiter les infos visuelles
Pour rappel, la dyslexie est une difficulté à identifier les mots qui entrave la lecture et la compréhension du langage écrit. Il existe d'autres troubles dys comme la dysphasie (langage) ou la dyspraxie (développement moteur et écriture). L'un des enfants de Mme Nyssen, qui s'est donné la mort en 2012, était lui-même dyslexique, dyspraxique, « dys tout ce que vous voulez et... merveilleux », avait-elle confié à Libération en 2016. « Entre 3 et 5% des enfants seraient concernés » par la dyslexie, estime l'Inserm. « Ce qui est compliqué pour ces enfants, c'est de réussir à traiter toutes les informations visuelles. Or l'écriture épicène en rajoute », explique à l'AFP Françoise Garcia, vice-présidente de la Fédération nationale des orthophonistes.
Un débat qui prend de l'ampleur
« D'autre part, l'écriture inclusive ajoute de la confusion dans la conversion entre ce qu'on entend et ce qu'on écrit », poursuit-elle, alors que ce travail de « conversion grapho-phonétique » est une difficulté pour les dyslexiques. « Mais on manque pour l'instant d'études scientifiques sur le sujet », note-t-elle. « Il en existe pour savoir comment les enfants traitent les mots, leur compréhension globale, mais pour le traitement de l'écriture épicène par l'enfant lambda et dyslexique, on ne sait pas ».
Le sujet de l'écriture inclusive était resté assez éloigné du grand public jusqu'à ce que le Figaro fasse état, fin septembre 2017, de son utilisation dans un manuel scolaire publié il y a six mois par les éditions Hatier. Depuis, le débat enfle entre les partisans de cette écriture et ceux qui pensent qu'elle dénature la langue française. « Dans la mesure où 97% des orthophonistes sont des femmes, nous écrivons nous-mêmes certaines choses en épicène à nos collègues », sourit Françoise Garcia.
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