Dyspraxie, handicap invisible. Et, pourtant, troubles manifestes. « Écris mieux, je n'arrive pas à te relire, trace des traits droits, travaille plus vite… ». Ces réprimandes, Romane les a entendues tout au long de sa scolarité. A 16 ans, au moment d'entrer en seconde, elle est contrainte de quitter le système ordinaire. Ses parents recherchent une autre orientation, sans solution pour le moment. « Sans qualification, avec pour unique diplôme le brevet des collèges, faut-il qu'elle s'inscrive à Pôle emploi, questionnent-ils. Quel avenir pour elle ? »
Un trouble méconnu
Pour comprendre son trouble, la jeune fille explique : « Essayez d'écrire de votre mauvaise main et vous aurez un petit aperçu d'un des aspects de ce handicap et de ses conséquences ». « Sans les adaptations, le handicap gagne », déplore Romane. De quoi a-t-elle besoin pour suivre sa scolarité ? De cours préparés par les enseignants, de supports écrits lisibles, d'une charge de travail adaptée en quantité et en temps pour tenir compte de la fatigabilité liée aux efforts pour compenser son handicap. « Pour remplacer la main de notre fille, il lui faudrait un AVS, que l'outil informatique soit véritablement utilisé par elle et les enseignants », explique Fabienne, sa maman. Ces préconisations sont pourtant mentionnées sur le PPS (plan personnalisé de compensation) de la MDPH « mais on lâche les parents et les enfants armés de ce petit bout de papier, la notification MDPH, dans l'arène d'un collège », poursuit-elle.
Le constat des invisibles
Sans être totalement naïfs, ses parents pensaient qu'à l'heure du numérique et avec les avancées de la loi de 2005, « aller dans une école ordinaire irait de soi ». Même si l'inclusion fait évidemment son chemin, pour certains « invisibles », le constat reste pourtant amer. « Parents, enseignants et enfants doivent se débrouiller, explique Fabienne. Les enseignants apprennent à la rentrée qu'ils ont dans leur classe un enfant en situation de handicap sans qu'ils ne reçoivent de formations, d'informations suffisantes sur ce qu'il convient de faire ou pas. L'enfant qu'ils ont devant eux n'est pas sourd, ni mal voyant, pas en fauteuil roulant, les handicaps invisibles les déroutent. Alors, nous, parents, apportons les renseignements avec notre énergie protectrice rôdée depuis des années, nos connaissances. Quitte à passer pour des revendicatifs trop pressants ». Avec certains, « ça passe » avec d'autres, « ça casse ».
Pas de favoritisme
De l'espoir, on passe à la déception… « On se bat sans trop de succès pour obtenir les cours, on voit le nombre d'heures d'AVS diminuer ». En 3e, Romane ne bénéficiait que de 7h30 de présence humaine par semaine « alors que le handicap lui n'a pas de montre », ironise sa maman. « On s'épuise. Puis se dressent des barrières que l'on a de plus en plus de mal à contourner. Puis un mur impossible à franchir. Alors on arrête le combat, on jette l'éponge quand la souffrance de nos enfants au sein de l'école est devenue trop inadmissible, quand on a la voix cassée à force d'expliquer, année après année, jour après jour que OUI les compensations sont nécessaires et obligatoires, que NON ce n'est pas du favoritisme mais un droit à l'éducation ».
Son brevet, contre toute attente
Selon cette maman, les « encouragements ne sont pas là ». Mises en garde, culpabilité… « Mais vous n'y pensez pas, aller au lycée, faire des études supérieures, c'est impossible. Il y a encore moins de moyens qu'au collège, personne n'aura le temps de se soucier de sa problématique, elle n'aura pas d'AVS. D'ailleurs par quel miracle est-elle arrivée jusqu'en 3e ? ». Et, pourtant, grâce à la persévérance et l'engagement de certains, camarades ou intervenants, Romane décroche son brevet, « contre toute attente ». Il n'y aura pourtant pas de rentrée en seconde. La jeune fille est invitée à quitter ce système dit « inclusif ».
Option dérochage
On tente de l'orienter vers une filière plus adaptée mais c'est la double peine car les handicaps invisibles ont peu de voies après la classe de 3ème. On demande à ces jeunes de très vite réfléchir à une idée de métiers, à une orientation par défaut. À ceux qui n'ont pas encore renoncé, on propose parfois des dispositifs destinés aux jeunes en décrochage scolaire qui, pour diverses raisons, ne veulent ou ne peuvent plus être maintenus dans un système scolaire classique, le rejettent. Or la problématique est toute autre pour les ado en situation de handicap qui, eux, n'ont jamais voulu décrocher. Ils sont alors orientés vers des filières souvent réduites, avec peu d'accès aux métiers du numérique, vers des CAP avec une palette de métiers qui « n'évolue pas depuis des siècles » selon Fabienne. Couture, coiffure, ménage… Pour des jeunes avec un trouble du geste, sans aucune motricité fine ?
Manque criant de formations
« Nous n'avons fait que colmater des brèches jusqu'à la 3e. Le manque de moyens est trop criant à partir du lycée alors, finalement, on nous pousse à abandonner », constate cette maman. Pas d'études, qu'elles soient courtes ou longues ! Qu'adviendra-t-il de ces adultes qui, par manque de formation, occuperont des emplois précaires, peu qualifiés, avec des revenus faibles, avec un taux de chômage plus élevé que celui de la population active ? « Ces enfants déjà à part dans les écoles mais aussi en dehors, qui ne peuvent parfois participer aux sorties scolaires, jamais invités aux goûters d'anniversaire, deviennent des adultes exclus », confie celle que l'on prend parfois pour une « éducatrice » parce qu'elle n'a pas d'autre choix pour « pallier les lacunes du système » et préfèrerait juste être maman.
Un mikado prêt à s'écrouler
Pour trouver une orientation pour sa fille, Fabienne enchaîne les rendez-vous, les coups de fil auprès des établissements mais aussi du transport spécialisé. Elle dit, en côtoyant ce « mille-feuille » d'intervenants, mesurer les conséquences du manque d'effectifs dans les services publics et structures dédiés aux handicaps. Elle dénonce le manque de coordination entre les différents acteurs. « Un véritable mikado où, du jour au lendemain, tout peut s'écrouler, une piste, une orientation à cause du grain de sable qui vient enrayer une machine déjà bien grippée. »
Un combat âpre
Le combat mené par certains parents pour le droit de leur enfant à aller à l'école est âpre, coûteux en temps, en énergie, épuisant. Las de « beaux discours », ceux de Romane réclament des « actions sur le terrain », « une plus grande application de la loi de 2005 » avec les moyens nécessaires pour « tous ces enfants, adolescents et jeunes adultes privés, dans les faits, du droit d'apprendre ». « Comment ne pas s'épuiser devant tant d'obstacles rencontrés ? », concluent-ils. Romane lance un appel : « Toutes ces années d'efforts pour terminer sur RIEN ? NON ! ».