Théâtre, danse, one-man show, mime, cabaret, musique… Toutes les disciplines sont représentées, parmi les plus de 3 500 spectacles du programme du Fringe, un festival organisé à Edimbourg, en Ecosse, du 5 au 29 août 2022. Bien parler anglais permet de mieux en profiter, sinon il faut sélectionner les spectacles visuels ou musicaux ou le critère de recherche « Accessible for non-English speakers ». Une centaine de performances sont sous-titrées en anglais (captioned) pour les personnes sourdes, bien utile aussi si l'on a raté quelques passages, pour une ou plusieurs représentations. D'autres bénéficient d'un interprète mais en langue des signes britannique (98 représentations) ou sont audiodécrites (31). Certaines salles sont équipées de boucles magnétiques (442) tandis que des visites tactiles sont parfois proposées. Sans oublier des séances « Relax » (87) pendant lesquelles les spectateurs peuvent s'installer confortablement, bouger, réagir (article en lien ci-dessous)… Environ deux tiers des salles éphémères, installées pour le festival dans des cafés, des sous-sols, sont accessibles aux personnes en fauteuil roulant. Des services dédiés à la réservation répondent aux questions des spectateurs.
Des spectacles pour les personnes sourdes
Pour la première fois, un festival des sourds, le Deaf festival, intégré au festival Fringe, est organisé pendant huit jours. « Une célébration de la culture, de la langue et de l'héritage sourds » avec une soixantaine de représentations. Au programme : théâtre, humour, mime (DeafMimo), magie, cabaret, visites, débats, expositions et même une Deaf rave, accessibles en langue des signes britannique (BSL) et en anglais, et pour un certain nombre sous-titrés. Objectif ? Permettre au public sourd de participer dans de meilleures conditions au festival et toucher le grand public.
Dans son spectacle Perspectives with Gavin Lilley, le comédien sourd signant Gavin Lilley partage son « expérience de personne sourde naviguant dans un monde d'entendants » entraînant dans la vie quotidienne de nombreux quiproquos. Le public, sourd comme entendant, est hilard !
Un autre spectacle Made in India/Britain, de et avec Rinkoo Barpaga, entièrement en BSL est joué durant tout le Fringe avec sous-titrage et traduction en anglais.
Faire rire
« J'ai arrêté d'avoir honte de mon bégaiement, maintenant je l'utilise dans mes spectacles d'humour », confiait le comédien irlandais Aidan Greene au journal Independent. Il s'interroge sur ce que serait la vie sans ce handicap et comment il a façonné sa personnalité dans I know what you did last stammer.
La catégorie « Comedy » est la plus importante du Fringe et bon nombre d'humoristes n'hésitent pas à parler de leur handicap pour faire rire et réfléchir. N'hésitez pas à aller voir Disabled Cants : pendant une heure, trois ou quatre humoristes sont réunis par le comédien sourd Steve Day (participation au chapeau comme pour tout le Free festival).
Aaron Simmons : Hot Wheels, un surnom qui lui a été donné par une aventure d'un soir. Infirme moteur cérébral (IMC), il circule en fauteuil roulant et détaille les avantages de son handicap. L'occasion d'anecdotes désopilantes aux Jeux paralympiques, dans les toilettes pour personnes handicapées ou en rencontrant Jésus !
Très interactifs et instructifs, les spectacles de deux humoristes déficients visuels : Blindingly Obvious de Richard Wheatley, un sens de la répartie pour jouer avec le public, drôle et sensible, gagnera à être davantage rodé. Et Tom Skelton : 2020 Visions (What if I hadn't gone Blind?) qui imagine et partage ses réflexions sur ce que serait sa vie s'il n'était pas devenu aveugle. Non seulement le spectacle est rempli de bons mots et de situations cocasses mais Tom a un vrai talent de mime comme lors de courses effrénées. Profond et désopilant.
La jeune Lara Ricote, sourde de naissance, tout comme sa sœur aînée, subjugue son auditoire de bout en bout, sans temps morts, dans GRL/LATNX/DEF. Hilarant.
Le plus étonnant, vainqueur entre autres de Britain's Got Talent, est Lee Ridley, alias Lost Voice Guy, avec son nouveau spectacle Cerebral LOLsy. Infirme moteur cérébral, « le gars à la voix perdue », utilise une aide technologique à la communication sur tablette pour s'exprimer avec un accent de Newcastle ! Et bien que sans voix, il a des choses à dire, captive et fait rire des salles entières avec ses traits d'humour. A découvrir !
Des humoristes autistes comme Joe Wells (Formidable sketch : « Avoir un frère non-autiste »), Ian Lynam ou Mark Grimshaw attirent aussi le public.
Exposer son corps
« Bonjour, je m'appelle Sarah, j'ai 34 ans et je vis en compagnonnage avec la douleur », explique Sarah Hopfinger dans Pain and I. Une performance poétique où, par la parole, le mouvement, la danse, - la jeune femme partage son expérience de vivre avec une douleur chronique, de la vulnérabilité. Seule en scène, nue, sans décor, elle détaille les étapes (peur, rejet, difficultés, acceptation) et ce que la douleur peut nous enseigner, comment danser avec elle, prendre soin de son corps. Fort et bouleversant.
Trois danseurs sont assis sur des chaises ; à tour de rôle, ils vont se lever et danser un casque sur les oreilles, la musique jouant pour eux seuls. Avec Kvartetto (Quatuor, un ingénieur du son les accompagne sur scène) et ses interprètes avec trisomie venus de Finlande, la chorégraphe Kati Raatikainen veut défendre « les droits des personnes ayant un handicap intellectuel à être considérées comme des danseurs et des participants à la vie de la société ».
La compagnie de danse inclusive écossaise Indepen-dance présente son nouveau spectacle Entwined (Entrelacés) comme le sont les éléments de la nature projetés sur grand écran (ciels, vagues, arbres…) ou ,par moment, les six danseurs, dont trois ayant une trisomie 21, dans une belle harmonie. Le spectacle « explore la joie de la découverte en se connectant avec les flux et reflux de la nature ». Un émerveillement.
Fruit d'une collaboration, à distance pendant la pandémie, entre le chorégraphe taïwanais malvoyant Chang Chung-An et la chorégraphe et danseuse française, Maylis Arrabit, Ice Age, retrace le temps du confinement et son impact sur les personnes handicapées (deux danseurs en fauteuil roulant dont Maylis), leurs relations au monde extérieur, avec leurs aidants, faites de violence et de tendresse... Le spectacle « évoque la coexistence entre deux réalités parallèles, séparées par l'espace-temps et, en même temps, unies par lui ». Des images fortes, des duos de danse magnifiques et inventifs.
Partager son expérience
Sensibiliser enfants et adultes au handicap est le défi relevé par l'équipe de The Blue badge bunch (la carte de stationnement bleue pour personnes handicapées), animée avec humour par Benny Shakes, infirme moteur cérébral (IMC), et Mark Nicholas, autiste « entre autres ». Des comédiens handicapés présents au festival, des « modèles » pour les enfants, sont invités à s'affronter dans des jeux interactifs qui présentent des situations de handicap : dessiner avec le pied, audiodécrire, décrypter les logos pour former des phrases d'un outil de communication…
Dans One of two, Jack Hunter, en association avec Birds of Paradise Theatre, une compagnie inclusive écossaise, raconte son histoire et celle de sa sœur jumelle Bec, tous deux IMC, qu'il a écrite et joue seul en scène. Il présente leurs combats pour vivre le plus autonomes possible, aller à l'école, faire des études supérieures, travailler… Bec est présente en voix off ou en vidéo. Jack a une belle présence sur scène. Il montre des photos, chante, bouge et ne manque pas d'humour.
Tamara Al-Bassam arrive à Londres, fait des études et accumule les boulots, son corps a mal, bloque et elle ne s'écoute pas, continue, malgré les signaux qui s'amplifient… Puis c'est l'errance diagnostique, le centre antidouleur, l'acceptation, le refus de la reconnaissance du handicap… Able(ish) raconte ce parcours de « découverte de ses forces et de ses limites ». La jeune femme le porte sur scène de manière pudique et peut être trop sobre, entrecroisant son récit avec celui de femmes ayant connu la maladie ou le handicap, comme Karen Blixen. Bouleversant.
Le comédien sourd Steve Day témoigne des années difficiles après le diagnostic de démence pour son père et partage de manière très personnelle ses souvenirs heureux, entrecoupés de tubes musicaux de l'époque, dans Further adventures in dementia. Emouvant.
Dans le cadre d'un autre événement, le Festival international, est également présenté You know we belong together (Tu sais que nous sommes faits pour être ensemble) de Julia Hales, jeune femme trisomique australienne, co-écrit avec Clare Watson et Finn O'Brannagáin. Elle partage la scène avec six autres artistes trisomiques, leurs rêves et leurs frustrations de vivre avec la trisomie 21 dans une société peu accueillante. « Une joyeuse célébration de passion, de détermination et d'esprit. »
Oser parler de santé mentale
Dave Chawner a écrit un livre, donné des conférences et présenté un one-man show sur les troubles de l'alimentation, notamment l'anorexie. Avec Mental, il veut sensibiliser avec humour et profondeur à la bonne santé mentale. D'utilité publique !
Les souffrances d'une relation toxique et ses conséquences sur la santé mentale sont montrées avec puissance dans Mustard (Moutarde), écrit et interprété par Eva O'Connor. Comment un chagrin d'amour pousse à la folie, comment apaiser sa douleur dans la moutarde en s'y plongeant… Une performance impressionnante. Piquant !
Dans un spectacle semi-autobiographique, Manic Street Creature, Maimuna Memon, musicienne talentueuse, compositrice et comédienne, évoque la vie de Ria, une musicienne venue travailler à Londres où elle rencontre Daniel, tombe amoureuse. Ils s'installent ensemble avant qu'elle ne découvre qu'il souffre de troubles bipolaires. Ria devra reconnaître qu'il est important de gérer sa propre santé mentale comme celle de son conjoint, de se protéger pour aider sans plonger soi-même. L'originalité réside dans la force des chansons qui illustrent le texte, l'amour et le désespoir, la souffrance et la tendresse, la difficulté à aider, interprétés par Maimuna avec deux autres musiciens formidables, passant d'un instrument à l'autre. Magnifique.
Deux autres spectacles sont « naturellement accessibles » à un large public. Ils attirent les foules lors de leur déambulation dans les rues d'Edimbourg et affichent complet avant une tournée qui les réunira à Paris. Les artistes de Mr Moon sont non seulement de formidables musiciens mais aussi clowns, comédiens, mimes, poètes… Laissez-vous entraîner par leur énergie débordante, dans leur univers onirique, inventif, drôle, farfelu à la recherche de la lune… Joyeux et déjanté.
Avec Fills monkey, We will drum you, un duo de musiciens français, des batteurs inventifs et doués, à la joie contagieuse, nous entraînent au rythme effréné de leurs joutes, jongleries et pitreries dans des univers parfois futuristes. De nombreux objets deviennent baguettes magiques mais jamais au détriment de la musique, langage universel. Un spectacle qu'apprécieront petits et grands, ainsi que les personnes sourdes grâce aux vibrations et à la performance visuelle. Prodigieux.
N'oubliez pas d'aller explorer Edimbourg et l'Ecosse, de nombreuses propositions ont lieu durant les festivals : concerts, danses, contes, expositions, visites… Par exemple Scotland in 60 Minutes, avec le présentateur de télévision Mark Stephen et la chanteuse Gill Bowman, pour s'informer en s'amusant (non sous-titré). Autre idée, un Edinburgh Food safari à la découverte des spécialités écossaises et de quartiers moins touristiques : 2 ou 3 heures de marche dans la ville nouvelle, avec Nell Nelson, guide passionnée et jamais avare d'anecdotes. Le parcours est ponctué de haltes dans des pubs ou boutiques pour déguster par exemple Gin local à la rhubarbe et au gingembre ou à la framboise, saumon fumé, Cheddar, et bien sûr haggis (panse de brebis farcie) revisité dans une cuisine plus contemporaine avec un whisky pure malt. Délicieux !
Sans oublier le Tattoo, festival de musique écossaise militaire dans le château d'Edimbourg…