Handicap.fr : Le Défenseur des droits semble observer une augmentation des saisines en général et en matière de handicap en particulier…
Patrick Gohet : C'est sans doute le résultat de la récente campagne de communication que nous avons menée en octobre mais peut-être aussi des liens qui sont tissés avec la société civile et les principales associations de personnes handicapées, notamment dans le cadre de notre comité d'entente handicap. Ce comité se réunit deux fois par an et c'est le moyen pour le Défenseur des droits de dresser le bilan des actions menées et de pointer les difficultés du moment dans l'accès au droit.
H.fr : Sur 25 critères de discrimination, à quel rang se place le handicap ?
PG : Depuis plusieurs années, il est au 2e rang des motifs de saisine de notre institution, après celui de l'origine. Le 3e étant l'âge et le 4e la santé. Ça se confirme donc ! Et dans la majorité des saisines, tout critère de discrimination confondu, c'est l'emploi qui est le domaine principal dans lequel les discriminations interviennent (50% des dossiers). Mais il y a aussi l'éducation, l'accès aux biens et services, aux services publics...
H.fr : Dans le cadre des discriminations portant sur l'emploi, quels sont les motifs les plus récurrents ?
PG : Je vise la plupart des saisines du Défenseur des droits au titre des discriminations. J'ai donc une idée assez précise de la réalité. Ce sont des problèmes d'accès à l'emploi mais aussi de maintien (par exemple un licenciement ou des manœuvres pour dissuader la personne de se maintenir dans l'emploi), d'aménagement de postes (une grande lenteur dans la mise en place des installations nécessaires), d'évolution de carrière (pas de progression ou plus lente si on la compare à celle des collègues). Ce peut être encore des comportements agressifs ou qui consistent à isoler la personne handicapée dans la relation avec ses collègues ou sa hiérarchie. On a déjà entendu dire : « On sait qu'une personne handicapée qui arrive dans une équipe n'est pas performante et ça va être du boulot en plus pour les autres. » Ca ne se vérifie pas, car elle a souvent lutté plus que les autres pour obtenir cet emploi et elle entend le conserver. Mais il arrive aussi parfois que des personnes handicapées nous saisissent de manière injustifiée.
H.fr : L'intervention du DDD suffit-elle à faire entendre raison aux employeurs ?
PG : Dans la grande majorité des situations, elle permet de rétablir la personne handicapée dans ses droits. Rares sont les cas où nos recommandations ne sont pas suivies d'effets.
H.fr : Certains travailleurs hésitent-ils à vous saisir par peur de représailles ?
PG : Certains me l'ont dit, en effet. D'autres nous indiquent aussi qu'ils ont prévenu leur hiérarchie qu'ils allaient saisir le Défenseur des droits et que cela a suffi pour débloquer la situation.
H.fr : On vous reproche souvent des délais de réponse trop longs…
PG : Quand un dossier nous parvient, nous l'examinons attentivement pour vérifier qu'il est complet et recevable. Une simple déclaration ne suffit pas à prouver une discrimination. La bonne foi n'est pas mise en cause mais il nous faut des éléments justificatifs. Quand on les a réunis, on s'adresse au « mis en cause » qui doit, à son tour, nous transmettre un certain nombre d'explications justifiées et de documents. Cela demande parfois du temps. Les personnes qui nous saisissent sont persuadées d'être dans leur plein droit mais on ne peut évidemment pas se prononcer sur leur seule conviction. Les délais évoqués peuvent résulter parfois de la difficulté d'obtenir des réponses du mis en cause. Il nous faut parfois adresser de nombreuses relances. Si elles ne sont pas suivies d'effet, nous procédons à une mise en demeure. Mais il est rare que l'on aille jusque-là car s'obstiner à ne pas donner à l'employé ce à quoi il a droit expose l'entreprise à d'autres procédures. En effet, nous avons le pouvoir de rendre publiques nos actions et parfois d'utiliser la pratique du « name and shame » (honte sur le nom).
H.fr : Vous venez de publier un guide à destination des employeurs relatif aux aménagements raisonnables du poste de travail dédié aux personnes handicapées (article en lien ci-dessous).
PG : Oui, pour accompagner les entreprises, nous avons en effet publié, le 13 décembre 2017, un guide pratique, « Emploi des personnes en situation de handicap et aménagement raisonnable », avec l'objectif de lutter contre les discriminations dans ce domaine et d'accompagner les employeurs dans la mise en place des mesures appropriées. Car, inscrite dans la Convention internationale relative aux droits des personnes handicapées, entrée en vigueur en France depuis 2010, cette obligation d'aménagement raisonnable reste largement méconnue des employeurs et plus généralement des acteurs de l'insertion professionnelle des personnes handicapées. Elle est peu mise en œuvre.
H.fr : Le handicap psychique donne-t-il lieu à des discriminations importantes ?
PG : C'est en effet une catégorie de salariés handicapés pour lesquels les choses sont particulièrement difficiles. La raison est simple : la personne handicapée psychique alterne des périodes de stabilité et de crise. Nous avons un certain nombre de saisines qui émanent de personnes bipolaires par exemple. Même s'il nous est impossible de faire des statistiques selon la nature du handicap, le handicap psychique occupe une place importante dans nos saisines.
H.fr : Recevez-vous parfois des demandes d'employeurs ?
PG : Oui, bien sûr. Certains nous disent : « Je ne sais pas quoi faire. », par exemple lorsqu'ils sont confrontés à des arrêts de travail prolongés qui compliquent leur activité. Nous les informons alors des procédures qui peuvent exister.
H.fr : Dans ce cas, on peut comprendre que certains ne soient pas forcement de mauvaise volonté mais totalement démunis. La réalité est parfois compliquée.
PG : Oui, évidemment. Mais le fondement de notre institution ne fait pas du « principe de réalité » sa référence première. Nous nous appuyons sur la compréhension des situations mais avant tout sur le droit. Chacun dans son rôle. Lorsque j'agis en tant qu'adjoint du Défenseur des droits, je m'appuie en premier lieu sur les droits de la personne avant de prendre en considération les contingences. Le Défenseur des droits n'est pas une ONG, c'est une autorité administrative indépendante inscrite dans la Constitution.
H.fr : Recevez-vous également beaucoup de saisines de travailleurs handicapés qui auraient été discriminés à cause de leur avancée en âge ?
PG : Au siège, nous recevons des saisines de ce type. Nos délégués, qui tiennent des permanences dans tous les départements, traitent davantage ces situations. Récemment, au siège, nous avons créé un pôle « Droits des malades et dépendance » pour être encore plus impliqué sur la question de l'avancée en âge.
H.fr : Le gouvernement a récemment mis en œuvre certaines mesures relatives aux ressources des personnes handicapées qui alertent les associations. Avez-vous un pouvoir dans ce domaine ?
PG : Nous sommes attentifs aux mesures prises par le gouvernement pour s'assurer qu'elles sont conformes à la Convention relative aux droits des personnes handicapées de l'Onu, dont le Défenseur a la charge du suivi de sa mise en œuvre , et de la loi « handicap » de 2005. Si le gouvernement adopte des mesures contraires à ces textes, nous pouvons produire un avis ou des recommandations. C'est ainsi que le Défenseur des droits est extrêmement vigilant sur la question de l'emploi des personnes handicapées. Nous travaillons régulièrement avec Sophie Cluzel, la secrétaire d'État en charge du handicap, et son cabinet, ainsi qu'avec le CIH (Comité interministériel du handicap), et ces sujets-là sont évidemment au nombre de nos travaux.
H.fr : En octobre 2017, la rapporteuse de l'Onu s'est rendue en France pour faire un rapport sur la prise en compte du handicap dans notre pays. L'avez-vous rencontrée ?
PG : Elle nous a en effet auditionnés. Nous lui avons parlé des saisines qui nous parviennent, du rôle de notre institution dans le cadre du suivi de la mise en œuvre de la convention de l'Onu et de la place qu'elle occupe dans nos actions.
H.fr : Existe-t-il un Défenseur des droits dans les autres pays ?
PG : Oui, dans la plupart, notamment en Europe, même s'ils ne portent pas forcément le même nom.