Le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne s'est prononcé jeudi 16 janvier 2014 contre l'euthanasie passive de Vincent Lambert, un patient tétraplégique en état de conscience minimale que ses médecins avaient décidé de ne plus alimenter et hydrater pour le laisser mourir, en accord avec sa femme et une partie de sa famille. Les parents, une sœur et un demi-frère de Vincent Lambert avaient saisi la justice après l'annonce du docteur Eric Kariger, chef du service de médecine palliative du CHU de Reims, d'arrêter prochainement les traitements de nutrition et d'hydratation artificielles du patient.
Un traitement pas inutile
«Le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne suspend l'exécution de la décision du 11 janvier 2014 par laquelle le centre hospitalier régional universitaire de Reims a décidé d'interrompre l'alimentation et l'hydratation artificielles de M. Vincent Lambert», indique le tribunal dans un communiqué. Le tribunal a notamment «jugé que la poursuite du traitement n'était ni inutile, ni disproportionnée et n'avait pas pour objectif le seul maintien artificiel de la vie et a donc suspendu la décision d'interrompre le traitement», explique notamment la juridiction.
Une victoire pour toutes les personnes handicapées ?
«On a sauvé la vie de Vincent», a estimé Me Jean Paillot, l'un des avocats des parents. C'est une victoire du droit, c'est une lecture de la loi Leonetti (sur la fin de vie, ndlr) à la lumière de la dignité. C'est une victoire pour tous les handicapés», a-t-il ajouté. «Le tribunal a reconnu que Vincent n'était ni malade ni en fin de vie et la loi ne pouvait pas s'appliquer. Dans le cas de Vincent, les éléments pour arrêter l'alimentation ne sont pas réunis», a conclu l'avocat. Agé de 38 ans, Vincent Lambert est hospitalisé depuis cinq ans après un accident de la circulation.
«Jurisprudence fâcheuse»
«On va prendre le temps d'analyser les motivations du tribunal avant de proposer éventuellement un recours auprès du Conseil d'Etat», a déclaré à l'AFP Me Catherine Weber-Seban, qui défend le CHU. «Vincent n'a pas de lien relationnel et le maintien de l'alimentation ne lui permettra jamais de recouvrer un lien de relation», a-t-elle estimé. D'une manière plus générale, «cette décision risque de créer une jurisprudence fâcheuse pour l'ensemble des patients pauci-relationnels (en état de conscience minimale, ndlr) qui risquent de se voir retirer du champ d'application de la loi Leonetti», a estimé Me Bruno Lorit, l'avocat de François Lambert, neveu du patient favorable à la décision de le laisser mourir. Il n'exclut pas non plus de faire appel devant le Conseil d'État de cette décision qu'il juge «pas très bien motivée».
Dans un état totalement aphasique
Selon le corps médical, Vincent est totalement aphasique et dans un état pauci-relationnel qui permet une certaine interaction avec l'environnement par la vue notamment, sans pour autant «être sûr qu'il intègre correctement les informations sensorielles». Depuis le début de l'année 2013, le malade avait multiplié, d'après les médecins, des comportements d'opposition aux soins, «faisant suspecter un refus de vivre». En avril 2013, un premier protocole de fin de vie avait déjà été engagé, mais sans consulter explicitement les parents vivant dans le sud de la France, qui avaient saisi la justice et obtenu la reprise des soins de leur fils. L'action judiciaire avait mis au jour un conflit familial, alimenté, selon plusieurs témoignages, par les convictions religieuses très ferventes des parents de Vincent.
Une famille divisée
Cette division de la famille s'est encore ressentie mercredi, tout au long des quatre heures d'audience, lors de laquelle les parties se sont opposées sur la place de Vincent Lambert dans le cadre de la loi Leonetti qui régit les droits des patients en fin de vie, son état de conscience et sa situation au sein du service de soins palliatifs. «Je pense beaucoup à la femme de Vincent et à l'ensemble de la famille. Le tribunal suspend la décision médicale, mais le conflit familial va rester lui aussi suspendu», a d'ailleurs réagi après la décision le docteur Eric Kariger, qui a estimé que «les volontés de Vincent n'ont pas été respectées».
«C'est un soulagement, la justice est rendue mais tout ce que l'on souhaite maintenant c'est que la famille retrouve un apaisement et avec son épouse aussi», a réagi de son côté la mère de Vincent, Viviane Lambert. «On a confiance en la justice», a-t-elle affirmé à l'évocation d'un possible recours devant le Conseil d'Etat.