Oscarisé deux fois pour ses musiques de film, Alexandre Desplat signe pour la première fois un opéra, co-écrit et mis en scène avec son épouse, la violoniste Solrey, privée de son instrument par un handicap. A l'affiche du théâtre des Bouffes du Nord (Paris) les 2 et 3 mars 2019, En silence est plus exactement un opéra de chambre, avec dix musiciens et deux chanteurs, dont la soprano Camille Poul. Il s'inspire directement d'une nouvelle du prix Nobel de littérature le Japonais Yasunari Kawabata, qui raconte le calvaire d'un romancier qui se retrouve paralysé, l'empêchant de poursuivre son oeuvre.
Un travail acharné avec 2 doigts
En 2010, Solrey, de son vrai nom Dominique Lemonnier, violoniste réputée, a perdu l'usage de sa main gauche après une opération au cerveau. Dès lors, la musicienne a engagé un combat contre l'adversité, tentant de réapprivoiser son violon et explorant de nouvelles activités artistiques. Un parallèle donc entre la fiction et une histoire intime. "Malgré la souffrance d'un travail acharné avec deux doigts, Solrey a décidé depuis trois ans de renoncer et de fermer la boîte de son violon", confie à l'AFP Alexandre Desplat. "On l'entendra toutefois dans le spectacle avec des improvisations enregistrées".
Survivre à la perte du geste artistique
"La question que nous abordons est de comprendre comment on survit à la perte du geste artistique", ajoute le compositeur, l'une des valeurs sûres d'Hollywood, oscarisé pour The Grand Budapest Hotel et La forme de l'eau. "Ce qui est très beau dans la nouvelle de Kawabata, c'est malgré tout la légèreté et l'ironie, sans tomber dans le pathos, avec des présences fantasmagoriques comme dans le Kabuki", une forme de théâtre japonais multiséculaire, ajoute-t-il.
Un sujet rarement traité
Pour Solrey, "adapter et mettre en scène cette nouvelle représente une expérience essentielle : un acte de résilience en écho à la blessure profonde du silence de mon violon". "C'est extraordinaire de trouver la forme artistique qui peut résumer des années d'épreuves", souligne-t-elle. "Avec Alexandre, nous avons toujours eu l'idée de faire un spectacle ensemble. Ce sujet est rarement traité. C'était l'occasion", ajoute Solrey. Aux lisières d'un conte fantastique, le spectateur est projeté dans un monde irrationnel, ambigu, alliant humour parfois grotesque au tragique, dans les pas de Tomiko, jeune femme sacrifiée. "Je n'avais jamais imaginé composer un opéra. J'ai vécu l'exercice comme une mise en danger", souligne Alexandre Desplat. "La grande différence avec le cinéma, c'est le flot du récit qui emporte l'attention du spectateur devant un écran", précise-t-il.
© Aurélie Lamachere/ Bouffes du Nord