« Ceci n'est pas une grossesse », annonce Morgane Tanné en arborant un ventre bien arrondi. A défaut d'être enceinte, elle souffre d'endométriose, comme plus d'une Française sur dix en âge de procréer. Troubles digestifs, règles douloureuses, saignements, fatigue, douleurs pendant les rapports sexuels, difficultés pour uriner... Voici une liste non exhaustive des symptômes provoqués par cette maladie gynécologique, dont Morgane souffre depuis l'adolescence. Mais faute d'avoir rencontré des médecins formés, elle n'est diagnostiquée qu'une dizaine d'années plus tard, à l'âge de 23 ans. Trop tard, « beaucoup » trop tard... Elle souffre déjà d'une endométriose de stade IV, le plus avancé. Une errance médicale qui va lui coûter cher...
Douleurs : un cycle infernal
Morgane tente d'abord le « traitement » le plus répandu contre cette maladie incurable : la pilule qui, à défaut de la guérir, aurait pu la soulager. En vain... Les douleurs persistent et les opérations s'enchaînent. D'abord un nodule recto-vaginal, qui entraîne une péritonite post-opératoire, puis un kyste ovarien. Quand ce cycle infernal va-t-il cesser ? La réponse se trouve quelques centaines de kilomètres plus loin, en Suisse... A cours de solutions en France, Morgane, alors âgée de 29 ans, se rend à Zurich, en juin 2019, pour consulter un expert de l'endométriose et créateur de la neuropelvéologie, un domaine de la médecine spécialisé dans les pathologies et troubles fonctionnels neurologiques du petit bassin. Le verdict est sans appel : il faut opérer rapidement car ses organes souffrent.
Opération non prise en charge
« Aujourd'hui, un kyste ovarien endométriosique de 15 cm écrase ma vessie et l'un de mes reins se dilate, explique-t-elle. Le médecin suspecte aussi une atteinte du nerf sciatique. Les interventions ou traitements que l'on me propose en France ne peuvent pas répondre à mes besoins médicaux. » Seule solution, selon elle, se faire « opérer en Suisse, auprès d'un spécialiste reconnu car cette intervention est très délicate (elle peut abîmer les nerfs, les organes vitaux et génitaux) ». Le hic, c'est qu'elle coûte 29 500 euros, sans compter les transports et l'hébergement, et qu'elle n'est pas remboursée par l'Assurance maladie. La Haute autorité de santé (HAS) a fixé une liste de trente pathologies chroniques qui bénéficient d'une prise en charge à 100 % et l'endométriose n'en fait pas partie, tout comme la fibromyalgie (article en lien ci-dessous). « Quand on est malade, qu'on rate des opportunités d'emplois à cause de sa pathologie, c'est déjà très difficile financièrement, révèle la jeune femme. Mais payer une telle somme sans avoir de ressources est tout simplement impossible ! »
Enjeu de santé publique
Dans ce contexte, de quelles solutions disposent les patientes pour financer leurs soins ? En tant que maladie chronique invalidante, l'endométriose peut donner lieu à une Affection de longue durée intitulée ALD 31 ou ALD « hors liste ». Elle concerne les patients atteints d'une « forme grave d'une maladie ou d'une forme évolutive ou invalidante d'une maladie grave, ne figurant pas sur la liste des ALD 30, comportant un traitement prolongé d'une durée prévisible supérieure à six mois et une thérapeutique particulièrement coûteuse », précise l'Assurance maladie. Pour en bénéficier, il convient de faire une demande auprès de son médecin traitant en précisant la mention « affection longue durée hors liste ». Il remplira alors un protocole de soins qui sera soumis à l'appréciation de l'Assurance maladie, qui vous informera de sa décision. « Il n'y a pas de certitude quant à son obtention, tout dépend de votre parcours médical et du suivi qui vous est proposé », signale l'association EndoFrance. Ainsi, peu de femmes atteintes d'endométriose parviennent à l'obtenir.
Des « endogirls » démunies
Face à « l'inertie des pouvoirs publics », Morgane décide de faire appel « à la solidarité des gens » et crée une cagnotte en ligne au nom évocateur : « Mon endométriose, notre combat ». Au-delà d'une levée de fonds, elle souhaite faire connaître cette maladie, en finir avec « la chape de silence » qui l'entoure et améliorer sa prise en charge. « L'endométriose est un enjeu de santé publique ! On ne peut pas ignorer la souffrance vécue par des millions de femmes dans le monde. C'est en nous alliant, en formant un seul bloc, que nous pourrons faire avancer les choses », affirme-t-elle. Après la création d'une page Facebook pour inviter au dialogue, elle envisage celle d'une association pour venir en aide aux « endogirls », qui se sentent « perdues », « incomprises » et « démunies ». Une ambition partagée par d'autres associations telles qu'EndoFrance. Selon cette dernière, il faut attendre en moyenne sept ans pour obtenir un diagnostic. 70 % de patientes souffrent de douleurs chroniques invalidantes et 40 % connaissent des problèmes d'infertilité mais zéro traitement spécifique. Un lourd constat auquel viennent s'ajouter la méconnaissance et l'absence de formation des professionnels de santé qui n'ont pas forcément les outils pour la dépister et la soulager.
Actions concrètes en perspective ?
Comme Morgane, de nombreuses jeunes filles se retrouvent donc seules pour mener ce combat. Face à ce constat, la ministre de la Santé, Agnès Buzyn, décide de réagir et annonce, le 8 mars 2019, à l'occasion de la Journée internationale des droits des femmes, un « plan d'actions » pour « renforcer la prise en charge » de cette maladie spécifiquement féminine. Elle s'engage notamment à consolider la formation initiale et continue des professionnels de santé pour favoriser un dépistage précoce préventif et à encourager « un champ de recherche à part entière ». 160 ans après la découverte de cette pathologie, Morgane reprend espoir mais, pour elle, il est déjà trop tard. Elle ne peut plus attendre, la maladie a atteint un stade critique…