Mon enfant autiste : pourquoi je suis montée sur une grue ?

Le 21 mars 2014, Estelle Ast, maman d'un garçon autiste, grimpe au sommet d'une grue au centre de Toulouse. A bout, c'est son ultime recours pour déployer ses banderoles et faire entendre sa voix. Pour Allan, elle irait décrocher les étoiles.

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Illustration article Mon enfant autiste : pourquoi je suis montée sur une grue ?

Le 21 mars 2014, Estelle Ast, maman d'un garçon autiste, grimpe au sommet d'une grue au centre de Toulouse. A bout, c'est son ultime recours pour déployer ses banderoles et faire entendre sa voix. Pour Allan, elle irait décrocher les étoiles.

Handicap.fr : Le 21 mars 2014, vous montez sur une grue en plein centre de Toulouse. Quel a été l'élément déclencheur ?
Estelle Ast : Je suis la maman d'Allan, un garçon autiste de 8 ans, scolarisé en CE1. Le 19 mars, en allant le chercher à l'école, Anne, son AVS (auxiliaire de vie scolaire) m'annonce que son contrat se termine le 5 mai prochain. Pour pouvoir le prolonger un an de plus, elle doit obligatoirement faire un stage d'un mois dans un autre établissement. Dans le « meilleur des cas », Allan sera donc déscolarisé pendant un mois et, dans le pire, jusqu'à la fin de l'année scolaire. J'appelle le rectorat : « Et mon fils, j'en fais quoi ? ». Pour seule réponse : « Ce n'est pas de notre ressort ! ». Fin de non-recevoir, aucune solution de remplacement. Je suis dégoutée. Un obstacle de plus dans ce parcours du combattant...

H.fr : Et, sur le chemin du retour, vous avez un déclic !
EA : J'aperçois une grue et je me dis : « Dans deux jours, je monte ! ».

H.fr : C'est une solution radicale. Qu'en pensent vos proches ?
EA : Je sais qu'ils vont tenter de m'en dissuader alors je décide de ne prévenir que ma fille Joanne. Elle me soutient : « C'est génial ! ». Elle a 18 ans et remuerait elle aussi ciel et terre pour son petit frère. Elle veut même monter avec moi mais je refuse. La veille, je prends quand même la peine d'avertir mon ami. Très sceptique au début, il finit par se laisser convaincre qu'il n'y a pas 36 solutions. Il est lui aussi papa d'un garçon autiste et connait les situations inextricables auxquelles tous les parents sont confrontés. Je préviens aussi ma meilleure amie qui, depuis Paris, doit organiser le plan média. Elle a pour consigne d'alerter la presse dès que je serai arrivée tout en haut.

H.fr : Nous sommes le 21 mars au matin, il fait encore nuit...
EA : Il est quatre heures du matin lorsque j'arrive aux abords du chantier. Je dois atteindre le sommet avant que les ouvriers ne débarquent. J'ai pris soin de repérer les lieux la veille. Pour franchir la première barricade, j'ai prévu une chaise pliante. Et, pour atteindre l'intérieur de la grue, je dois grimper tant bien que mal sur une cabane en métal qui me permettra de me hisser au-dessus du coffrage.

H.fr : Vous commencez l'ascension...
EA : Trente mètres ! Je n'ai pas choisi la plus petite grue mais elle était super bien placée, en plein centre-ville. L'ascension est éprouvante ; je ne suis pas spécialement sportive. Et j'ai emporté deux sacs à dos contenant les banderoles et mes réserves car je compte bien rester là-haut quelques jours. Heureusement, il y a des paliers qui me permettent de reprendre mon souffle. J'atteins le sommet au bout de 30 minutes. Je me réfugie dans la cabine qui, heureusement, est restée ouverte ; il est fait froid et le vent est violent.

H.fr : Vous avez tout prévu, y compris les baudriers ?
EA : Oui, il faut que je me sécurise pour déployer mes deux banderoles. Sur l'une est inscrit : « Autisme, arrêtez le carnage ! ». Sur l'autre : « Autisme, honte à notre pays ! ». Je suis soulagée, j'ai réussi. Il ne me reste plus qu'à attendre...

H.fr : Le jour se lève, et les ouvriers découvrent la bonne surprise !
EA : Ils sont sidérés. Je communique par radio avec le chef de travaux, très en colère : «Ca ne m'arrange pas votre truc car j'ai un chantier très compliqué ! ». Ce à quoi je m'empresse de répondre : « Eh bien moi, c'est ma vie qui est très compliquée ! ». Il me donne 10 minutes pour descendre avant d'appeler la police. Bonne idée, c'est le but. Car, avec les forces de l'ordre, débarquent aussi les pompiers, les medias, les présidents d'associations de personnes handicapées, des familles venues en soutien... Mon téléphone n'arrête pas de sonner.

H.fr : Comme dans tout bon scénario, le « négociateur » entre en scène...
EA : Il me fait comprendre que je vais être délogée très vite. Je reste ferme ; je ne suis pas ici pour rigoler. Je le préviens : « Si j'en vois un qui approche, je saute direct ! ». Il change de ton, se montre plus compréhensif et use de tous les arguments pour me convaincre de descendre. Il me promet des rendez-vous avec le préfet, le rectorat, la mairie...

H.fr : Mais, plutôt que des promesses, vous voulez un « papier » ?
EA : Oui, un courrier officiel qui me certifie qu'Allan gardera son AVS pour finir son année et qu'une nouvelle AVS sera recrutée en CDD à la rentrée prochaine. On m'annonce, enfin, qu'il est entre leurs mains. Je n'ai pas vraiment confiance. C'est ma fille, qui vient d'arriver, qui me le lit. Il est 13h. Je peux enfin quitter mon nid, escortée par quatre pompiers pour des raisons de sécurité !

H.fr : Vous êtes immédiatement conduite au poste de police...
EA : Oui c'est la procédure mais, avant, j'en profite pour répondre aux questions de la nuée de journalistes qui a déferlé en masse. Je suis là pour ça, pour qu'on parle enfin du sort réservé aux enfants autistes et à leur famille.

H.fr : Juridiquement, que risquez-vous ?
EA : Pénalement, heureusement rien ! La société du chantier a porté plainte et m'a d'abord réclamé 5 500 euros de dommages et intérêts pour avoir perturbé les travaux. Et puis, finalement, après une longue discussion, son directeur n'a pas donné suite.

H.fr : Vous en avez parlé à votre fils ? Allan est-il en mesure de comprendre votre action ?
EA : Je ne lui en ai parlé qu'après coup, en lui montrant les vidéos. Lorsqu'il m'a vue en haut de la grue, il a dit : « C'est interdit ». Je lui ai répondu que je l'avais fait pour qu'il puisse aller à l'école. Même s'il est difficile de savoir ce qu'il retire de tout cela, je crois qu'il a compris.

H.fr : Quelques jours plus tard, vous demandez un rendez-vous au rectorat car vous n'en avez pas totalement fini ?
EA : Oui, j'ai une deuxième exigence : que, pour la rentrée prochaine, l'AVS soit embauchée en CDD et pas en CUI-CAE, un contrat trop précaire. « Pas possible ! ». J'insiste, en colère : « La grue, à côté de ce que je pourrais faire dans les prochains jours, c'est de la rigolade... ». J'ai finalement obtenu gain de cause.

H.fr : Votre action est un peu extrême et pourrait créer bien des précédents...
EA : Oui, c'est ce que m'ont dit d'autres mamans qui en ont assez que leurs doléances restent vaines. Un magazine a même ironisé en se demandant s'il y aurait assez de grues en France si tous les parents d'enfants autistes désespérés s'emparaient de cette idée ? Jamais je n'aurais cru faire un truc aussi fou mais, lorsque vous êtes à bout, il n'y a plus de limite. Depuis le diagnostic d'Allan, je n'ai jamais cessé d'enfoncer des portes. Sa situation a certainement décuplé mon instinct maternel. Je ne peux plus supporter l'injustice surtout lorsqu'elle touche les plus faibles. Je ne dois pas être la seule car, depuis cette affaire, certains de mes "posts" sur le net ont été lus plus de 12 000 fois...

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"Tous droits de reproduction et de représentation réservés.© Handicap.fr. Cet article a été rédigé par Emmanuelle Dal'Secco, journaliste Handicap.fr"
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