« J'aurais toujours des choses à apprendre, votre monde est tellement complexe… Notre cerveau, c'est un peu comme une planète. Je ne vous dis pas l'état de la mienne, c'est l'anarchie ! » Si Héloïse à parfois l'impression de vivre ailleurs, c'est parce qu'elle est autiste asperger. A 13 ans, elle vient tout juste d'apprendre à sourire. Une grande victoire car les personnes porteuses de ce trouble peinent souvent à exprimer leurs émotions. Pour pouvoir vivre dans « notre monde » et être comprises des « neuro-typiques », elles n'ont d'autre choix que de s'adapter. Dans son documentaire Extra-ordinaires, Sarah Lebas interroge les pratiques actuelles et dresse le portrait de quatre personnes avec autisme ou trisomie 21. Après Les chatouilles et Les invisibles, c'est le troisième film du Cinéma des droits, un cycle de projection-débats autour de sujets de société et des droits fondamentaux créé par le Centre national du cinéma (CNC) et le Défenseur des droits. Le 10 avril 2019, l'histoire de ces gens « extra-ordinaires » qui luttent pour devenir des citoyens ordinaires est à l'honneur.
Cap sur la planète handicap
« J'ai découvert ce que j'avais à 19 ans, en me regardant dans le miroir. Ca m'a fait peur ! ». Depuis, Laura, 23 ans, a « appris à vivre avec » sa trisomie 21. Balayés les insultes et les regards persistants, aujourd'hui Laura se tourne vers l'avenir. « Ca m'a fait un peu chier au début mais c'est la vie », exprime-t-elle avec franchise. Les gens ordinaires ? « Ils ont des coutumes un peu 'chelou' ; ils mentent. Nous on ne sait pas mentir, c'est un gros avantage ! », assure Héloïse. Mais l'adolescente n'a pas toujours été si positive… Il y a encore deux ans, elle était « très agressive envers elle-même, confie sa maman. Elle se tapait la tête contre les murs, s'arrachait les cheveux car elle était incapable d'exprimer ce qu'elle ressentait. » Une psychologue l'aide désormais à extérioriser sa joie, sa colère et à ne pas se laisser envahir par ses émotions. Aymeric, 17 ans, a été diagnostiqué autiste sévère à l'âge de 2 ans. Enfant, il se murait dans le silence. « On nous a dit, à plusieurs reprises, qu'il était condamné », livrent ses parents. Mais, à force de persévérance et grâce à des méthodes canadiennes, à 5 ans, Aymeric prononce ses premiers mots. Comme de nombreux autistes, il a un intérêt spécifique. « Quand j'étais petit, j'adorais regarder les machines-à-laver. Maintenant, je vous rassure, je m'en fous complètement ! ». Sa nouvelle obsession : la météo.
L'accomplissement par le travail
Aymeric ne s'interdit plus aucun rêve. « C'était loin d'être gagné au départ mais, aujourd'hui il continue son combat pour acquérir de l'autonomie, poursuivent ses parents. Avec le handicap, ce n'est jamais terminé… » Partir travailler à l'aube ? Il en a rêvé. Alors, chaque matin, il grimpe sur sa trottinette avec plaisir pour faire son boulot de jardinier. Un point commun avec Laura qui, après cinq ans d'errance, se sent privilégiée d'occuper un poste d'hôtesse d'accueil. « C'est rare qu'une personne avec trisomie 21 soit à l'accueil, il y a de quoi être contente quand même ! » Mais elle a dû « se battre » pour l'obtenir. Rendre les personnes handicapées visibles, un choix encore trop périlleux pour les entreprises ? Magali, 43 ans, estime également avoir une « chance incroyable de travailler » avec son handicap. Comme de nombreuses femmes autistes Asperger, elle a reçu un diagnostic tardif (article en lien ci-dessous), à 38 ans, après celui de son fils, Julien, 12 ans, autiste sévère. Ancien professeur, après avoir supporté les bavardages incessants et sans parvenir à imposer son autorité, elle a opté pour un « métier plus adapté ». Elle travaille désormais pour le Centre national d'enseignement à distance (CNED), soulagée de ne plus être face aux élèves. Une « chance » loin d'être à la portée de toutes. Etre femme et handicapée, c'est souvent la double peine et notamment en matière d'emploi (articles en lien ci-dessous). Dans un rapport dédié, le Défenseur des droits indique que 43 % d'entre elles ont été confrontées à des discriminations au travail.
Système scolaire ambivalent
Ces attitudes hostiles, enracinées, commencent d'ailleurs bien plus tôt, dès l'école. Comme Laura, Héloïse était souvent seule et rejetée à l'école, et pas seulement par les autres élèves… « J'étais exclue des sorties car mes profs pensaient que je pouvais être dangereuse », se souvient-elle. Aujourd'hui, Héloïse est en 3e dans un collège privé et bénéficie d'une Assistante de vie scolaire (AVS) en permanence. Sa vie sans l'école ? « J'aurais fini par me suicider, envisage-t-elle. Je ne peux pas être enfermée dans un espace monotone, j'ai besoin de sortir. Je suis vraiment une privilégiée, les autres (autistes) doivent être hospitalisés, les pauvres… » Contrairement à elle, Julien, le fils de Magali, est accueilli au sein du centre éducatif Le Tremplin. Pour l'une des éducatrices, inclure les enfants handicapés « coûte que coûte dans le milieu scolaire ordinaire n'est pas forcément bénéfique pour eux car cela mobilise de gros moyens ». L'avenir de Julien ? Magali peine à l'imaginer… « Dans un institut, maltraité et sous neuroleptiques ? », questionne-t-elle.
Débat sur la désinstitutionalisation
Après la projection, le débat a tout naturellement porté sur la désinstitutionalisation, réaffirmée par la rapporteuse de l'ONU en charge du handicap, Catalina Devandas-Aguilar, après sa visite en France (article en lien ci-dessous). « Les enfants ne sont pas parqués ! », rétorque, vexé, un responsable d'établissement spécialisé. Tandis que le directeur d'une école publique déplore le manque de moyens mis à sa disposition pour accueillir les élèves autistes. « Sans AVS, c'est très difficile. On se bat pour en avoir », assure-t-il. « Ca fait 25 ans que je suis prof de bio et il ne m'est jamais venu à l'idée de mettre ma fille dans une de mes classes », intervient la mère de Laura. Finalement, la meilleure option ne serait-elle pas d'avoir le choix ?