Dans la salle d'attente du seul centre de prothèses de Gaza, Ahmed Ayyad apparaît en état de choc quand il évoque ce 20 juillet 2014 où les éclats d'obus lui ont déchiqueté le bras, criblé la poitrine et ont tué ses deux neveux et deux autres proches. "Les bombardements ont commencé au moment de la prière du matin, d'abord au loin. Nous les avons entendus se rapprocher vers six heures et nous avons dû quitter nos maisons", explique le jeune homme de 23 ans, le regard perdu. Il vivait dans le quartier de Chajaya, juste en face de la frontière avec Israël, l'un de ceux soumis aux pilonnages les plus intenses. Un millier de Palestiniens devraient souffrir d'un handicap permanent sur la dizaine de milliers qui ont été blessés pendant la guerre, selon des estimations de l'ONU.
Son bras amputé
"J'ai été touché à la main, à la jambe et à la poitrine. Il y avait des lambeaux de corps partout, des gens qui avaient perdu leurs bras ou leurs jambes", se souvient-il. Il a été évacué vers Naplouse, en Cisjordanie, autre territoire palestinien, Israël laissant les blessés graves sortir de l'enclave de Gaza pour se faire soigner ailleurs. En Cisjordanie, on lui a amputé le bras. A la différence de certains blessés hospitalisés en Jordanie, en Egypte ou en Turquie, il est rentré chez lui au bout de 14 jours pour être traité au Centre prothétique de Gaza. Aujourd'hui, un médecin vient masser son moignon pour désensibiliser la peau. C'est la première d'une longue série de séances indispensables avant de lui appliquer une prothèse.
Un système de santé à l'agonie
Des prothèses, le Centre prothétique de Gaza n'en manque pas. Elles lui sont fournies par la Croix-Rouge. Mais les comptes de la municipalité sont dans le rouge et rien n'assure que les 25 salariés du centre puissent continuer à travailler, dit son directeur, Hazem Chawwa. "Cela fait trois mois que les employés n'ont pas été payés", souligne-t-il. La bande de Gaza est soumise à une pression financière considérable à cause du blocus imposé par Israël depuis des années. "Nous sommes convenus avec les employés que nous continuerions à soigner les gens aussi longtemps que possible, salaires versés ou pas", dit Hazem Chawwa. Mais il ne sait pas combien de temps ses collaborateurs vont tenir.
« Ca y est, nous allons mourir ! »
Avec le cessez-le-feu instauré le 26 août, les organisations humanitaires ont pu intensifier les secours apportés aux blessés graves. Nahaya al-Angar, 28 ans, bénéficie ainsi à Chajaya de soins prodigués par des infirmières soutenues par Handicap International, qui travaille à Gaza depuis 2007. Nahaya et ses trois enfants se sont retrouvés ensevelis sous les décombres le 20 juillet quand une bombe a frappé leur maison. Ses enfants souffrent de brûlures. Elle-même est atteinte de plusieurs fractures du bassin qui l'empêchent de marcher sans assistance. "La maison s'est écroulée sur nous. Quand je me suis rendu compte que j'étais sous les décombres, je me suis dit : ça y est, nous allons mourir", relate-t-elle, assise dans un lit dans la maison de son père, des béquilles d'un côté, Nour, sa fille de 10 ans, de l'autre.
Des humanitaires pas épargnés
Nahaya al-Angar et sa fille se mettent à pleurer. Prisonnière des ruines, Nahaya se rappelle s'être mise à hurler frénétiquement pour que les voisins sortent ses enfants de là. Elle pourrait ne jamais remarcher sans aide, dit une infirmière. Handicap International et ses partenaires gazaouis, eux aussi, doivent batailler pour mener à bien leur mission à cause des pénuries en tous genres, dit la directrice de projet Samah Abou Lamzy. Les humanitaires eux-mêmes n'ont pas été épargnés par la guerre, dit-elle : les équipes déployées sur le terrain "n'ont pas reçu le soutien psychologique dont elles auraient besoin après les souffrances qu'elles ont endurées pendant plus de cinquante jours" de conflit.