Si on interroge les Français en cette rentrée marquée par l'incertitude, avec l'aggravation de la situation économique et sociale et la menace d'une reprise de l'épidémie, peu de chance qu'ils voient la vie en rose ! Inquiétude pour l'avenir, peur d'attraper le Covid, d'être isolé, de perdre son emploi… les personnes handicapées n'échappent pas à la sinistrose. 71 % d'entre elles disent ressentir durement les conséquences de la crise actuelle, aussi bien d'un point de vue financier que sanitaire. Ce pessimisme affecte surtout les ouvriers, les artisans, les demandeurs d'emploi et les chefs d'entreprise.
Ce sont les enseignements (logiques ?) de la grande enquête que l'Agefiph (Fonds pour l'emploi des personnes handicapées dans le privé) et l'Ifop ont mené depuis le début de la crise et dont la troisième phase (après celles de mai et juin) a été dévoilée le 23 septembre 2020. Entre le 11 et le 18 septembre, 3 028 sondés ont ainsi livré leur ressenti (lire les détails en fin d'article). Objectif ? Permettre au Fonds d'adapter son accompagnement et à l'Etat de mener les actions qui s'imposent.
Des ressentis pessimistes
Arnaud de Broca, président du Collectif handicaps, qui rassemble une cinquantaine d'associations, juge ces résultats « préoccupants », observant la convergence des termes « crainte, dureté, impact fort, fatigue… ». Il les dit « réalistes » et conformes aux témoignages reçus par les associations. Si une baisse de l'inquiétude s'était exprimée entre les phases 1 et 2 de ce sondage, elle repart désormais à la hausse. Ils sont une très forte majorité (74 %) à penser qu'il y aura un avant et un après Covid dans l'organisation de travail, rejoignant le point de vue global des Français. Quels sont alors les leviers à activer pour éviter le cataclysme annoncé qui, tous le redoutent, ferait peser une plus lourde menace sur les travailleurs handicapés ? Une crainte « réelle » pour Didier Eyssartier, directeur de l'Agefiph, « majeure et évidente » pour Arnaud de Broca. Sophie Cluzel, secrétaire d'Etat au Handicap, craint elle aussi que leur taux d'emploi ne baisse : « Les résultats commençaient à se faire sentir en 2019, le nombre de demandeurs d'emploi passant sous la barre des 500 000, alors c'est sur cette dynamique qu'il faut mobiliser les entreprises et leur dire de ne pas baisser les bras ».
Quelles solutions ?
De l'avis de tous, des solutions existent, en travaillant au plus près de l'écosystème de l'emploi. La ministre assure être « en mode combat pour animer les territoires », avec des réunions d'informations en régions prévues tout l'automne. Maîtres-mots : accompagner, communiquer, sensibiliser… Des actions se déploient dans toute la France pour informer les employeurs sur les dispositifs existants ; on pense, notamment, à la prime de 4 000 euros pour l'embauche d'un travailleur handicapé, annoncée en septembre par le gouvernement (article en lien ci-dessous). Pour 78 % des sondés, cette mesure est « indispensable » même si 58 % pensent qu'elle n'aura pas de réel impact ; Arnaud de Broca jugeant, de son côté, qu'elle « ne suffira pas ». Une aide de 8 000 euros est également disponible pour les contrats d'apprentissage tandis que le gouvernement entend miser sur les CDD tremplin (article en lien ci-dessous) et l'emploi accompagné « pour lequel nous avons l'argent », précise Sophie Cluzel, et qui doit « s'appuyer sur l'expertise du médico-social ». Par ailleurs, tous entendent mobiliser le réseau des référents handicap -désormais obligatoires dans les entreprises de plus de 250 salariés -, qui se réunit justement du 6 au 9 octobre 2020 (article en lien ci-dessous), pour motiver les troupes.
De son côté, Didier Eyssartier affirme que des « solutions sont possibles » pour permettre le maintien dans l'emploi et recommande aux employeurs de s'adresser à son Fonds ou à Pôle emploi dans l'urgence. La consultation www.activateurdegalite.fr, espace de débats et de réflexion mis en place par l'Agefiph, est par ailleurs ouverte à tous jusqu'au 22 novembre 2020 tandis que la campagne de communication #LeProgrèsCestMoi est en cours de déploiement pour faire changer le regard sur le handicap dans l'emploi, via des clips.
Au cœur du dialogue social
Si Sophie Cluzel dit « avoir bien conscience de la fragilisation des parcours », elle exhorte à une « mobilisation totale » pour les « sécuriser » et entend faire du handicap un « vrai sujet de dialogue social », comptant également sur la Fonction publique qui emploie 20 % des travailleurs en situation de handicap pour être « exemplaire ». Elle affirme s'engager sur cette « responsabilité collective ». Pile dans le timing, des négociations doivent s'ouvrir dans l'agenda social, dans lesquelles Arnaud de Broca revendique un « volet handicap », surtout sur les questions de maintien dans l'emploi, au risque de voir les licenciements pour inaptitude se « multiplier ».
Pour mettre un peu de baume au cœur, la prochaine édition de Hello handicap fait le plein. Ce salon en ligne national dédié à l'emploi des personnes handicapées va rassembler, du 27 au 30 octobre 2020 (lien ci-dessous), 126 entreprises qui n'ont pas failli dans leur engagement.
L'enquête en détails
En rentrant dans les détails de l'enquête Agefiph-Ifop, un sentiment d'anxiété se manifeste chez 69 % des répondants, qui n'a jamais régressé depuis le début de la crise. 37 % affirment constater une dégradation de leur santé physique et 32 % de leur état moral, affectant davantage les ouvriers et les demandeurs d'emploi que les cadres. Arnaud de Broca redoute que cet impact ne s'inscrive dans la durée, et, selon lui, « le renforcement du soutien devient alors essentiel, bien plus qu'avant ». Même constat sur le volet financier, 70 % des sondés ayant des difficultés à s'en sortir avec les revenus de leur foyer (contre 50 % dans la population générale), les demandeurs d'emploi étant, en toute logique, plus impactés, ainsi que les dirigeants d'entreprise.
Recrues trop vulnérables ?
La notion de vulnérabilité face à la contamination est également au cœur de cette enquête. Si 44 % des sondés se définissent comme vulnérables, a fortiori en cas de polyhandicap et de maladies invalidantes, seuls 31% ont été considérés comme tel par leur employeur qui, pour deux-tiers d'entre eux, ont alors pris des dispositions particulières. Face à cette « catégorisation », 30 % des sondés ont eu un sentiment positif, ressentant de la « confiance », contre 3 % seulement de la colère (et 4 % de la tristesse). Pour Arnaud de Broca, la vulnérabilité est un enjeu majeur car il impacte à la fois le maintien dans l'emploi -certains travailleurs en poste pouvant rencontrer des difficultés à cause des mesures sanitaires en cours- mais également le recrutement « car embaucher une personne considérée, à tort ou à raison, comme vulnérable devient certainement plus compliqué pour les recruteurs ». Mais « le handicap ne rime pas forcément avec vulnérabilité », tempère Sophie Cluzel qui dit « marteler ce message depuis le début de la crise ».
Télétravail, pas la panacée ?
Après une période de télétravail intensif, 73 % des répondants ont repris le chemin de leur emploi à l'extérieur du domicile mais la grande majorité se dit affectée par la fatigue, l'inquiétude ou le stress. Une motivation au travail plutôt en berne, d'autant que la crise a renforcé, pour une personne sur deux, le sentiment d'isolement au sein des équipes, a fortiori pour ceux qui étaient en télétravail ; 45% se sont ainsi sentis à l'écart (contre 33 % dans la population générale). « Cette nuance sur le ressenti du télétravail doit permettre de tirer de grands enseignements », assure François Legrand, chargé d'études Ifop. Il y a en effet un gros écart de perception entre les valides qui s'y disent très favorables (83 %) lorsque seulement 65 % des travailleurs handicapés y adhèrent. Pour Sophie Cluzel, « cette organisation durant le confinement, et notamment l'isolement, était 'subie', il faut maintenant œuvrer pour un télétravail 'choisi' » car, selon elle, « beaucoup y auraient vu des avantages énormes ». Rappelons que l'Agefiph propose des aides pour permettre l'adaptation du poste de travail au domicile. « Il va falloir être attentifs sur les moyens mis en œuvre dans ce domaine », complète Arnaud de Broca, qui, une fois encore, mise sur les concertations en cours sur le télétravail « pour que les partenaires sociaux n'oublient pas de se saisir du sujet du handicap ».
Enfin, sur le port du masque, pour lequel les travailleurs handicapés peuvent bénéficier d'une dérogation médicale sur le lieu de travail dans certains cas (article en lien ci-dessous), 70 % des sondés se disent « favorables », contre 31 % qui jugent cette contrainte « liberticide », des chiffres très proches du ressenti global des Français.