Bouleversés par le confinement puis par le report des Jeux paralympiques de Tokyo (qui auront finalement lieu du 24 août au 5 septembre 2021), nombre d'athlètes handisport peinent à garder la forme et le moral... Et si la clé pour réaliser une performance sportive exceptionnelle se cachait, non pas dans notre corps, mais dans notre cerveau ? C'est tout l'enjeu de la préparation mentale, qui vise à développer ses habiletés cognitives pour optimiser ses capacités physiques, tout en favorisant le plaisir de la pratique sportive et l'autonomie. Philippe Morlot s'est spécialisé dans l'accompagnement des para-sportifs de haut-niveau pour leur permettre de mieux utiliser leurs ressources et d'avoir accès au même niveau de service que les « valides ». Les clés pour obtenir un mental d'acier...
Comprendre qui l'on est
« En France, on a une approche très technicienne du sport. Or la performance sans la dimension cognitive n'est pas complète, estime Philippe Morlot. La préparation mentale permet de bien comprendre qui l'on est, ce dont on a vraiment envie et quels moyens nous sommes prêts à mettre en action ». Rien de tel pour développer sa concentration et apprendre à gérer son stress. Un outil particulièrement efficace, selon lui, avant une compétition ou un « gros challenge ». Philippe Croizon en a lui-même constaté les bénéfices à chacune de ses aventures. « Cela m'a permis de gérer mon émotivité, mon anxiété et de canaliser mon excitation, avant de traverser la Manche à la nage et de relier les cinq continents, explique l'aventurier. Sur le rallye Dakar, cette technique m'a aidé à être plus apaisé, plus concentré et à ne pas être déboussolé par les montées d'adrénaline lorsque nous roulions à grande vitesse. Concrètement, je n'avais pas les jambes qui flageolent. Un atout non négligeable quand on est quadruple amputé... »
Dédramatiser et se concentrer sur ses objectifs
Philippe Morlot accompagne deux handisportifs en équipe de France d'escrime et de boccia, en vue de Paris 2024. « Mon but est de les aider à s'organiser et à préparer cet enjeu de taille, toujours dans la bienveillance et l'écoute, et en me rendant le plus disponible possible », explique-t-il, ses trois « atouts » majeurs. Le report des Jeux a mis les nerfs des athlètes à rude épreuve. Dans ce contexte, la préparation mentale vise notamment à dédramatiser la situation et les aider à se concentrer sur la continuité de leurs objectifs. « L'un des athlètes était dans l'incapacité de poursuivre son entraînement une année de plus, en raison de la fin de son contrat. Il a fallu l'aider à accepter que la page se tourne plus rapidement que prévu », indique le spécialiste. Pour ce faire, il mise notamment sur le triptyque : méditation, relaxation et visualisation. « Mais cela peut prendre du temps, souligne-t-il. Certains ont besoin d'une séance par semaine, d'autres de deux ou trois. Il n'y a pas de règle, à chacun son rythme, ses disponibilités et ses besoins. Par ailleurs, pas question d'imposer un rythme ni même une idée, chaque séance doit être co-construite. » Cela peut aussi permettre, selon lui, de fluidifier les relations et de créer une cohésion au sein d'une équipe ou encore entre un athlète et son coach. « Apprendre à mieux communiquer pour faire tomber les éventuels blocages affectifs et mettre de côté un élément extérieur pouvant altérer les performances... »
Visualiser un geste pour ne pas l'oublier
Le confinement a parfois entraîné l'arrêt des entraînements et cristallisé les interrogations et angoisses des professionnels, notamment ceux qui se préparaient pour les Jeux de Tokyo : « Comment vais-je pouvoir m'entraîner dans ces circonstances, dans un lieu qui n'est pas propice ? Serai-je toujours à un haut-niveau lors de la reprise ? Ne serai-je pas trop vieux ? Mes sponsors vont-ils mettre fin à notre collaboration ? ». « Le confinement a remis en question tout le travail de préparation, c'est très dur à gérer, constate Philippe Morlot. Là encore, l'enjeu est de les aider à favoriser une vision positive et de transformer cette contrainte en opportunité. » Sans parler des conséquences physiques... « Un athlète avec une infirmité motrice cérébrale (IMC) a du mal à faire ses étirements lui-même. Privé de séances de kiné, son corps s'engourdit très rapidement, beaucoup plus qu'une personne 'valide' qui pourrait faire des exercices de stretching », observe-t-il. L'imagerie mentale entre alors en jeu. Selon Philippe Morlot, cet outil permet notamment au cerveau de mémoriser un geste technique pour éviter de l'oublier. En complément, à l'issue du confinement, « il a fallu entamer un gros travail de remise en action, que la visualisation a permis d'aborder avec plus de sérénité ».
La cohérence cardiaque contre les troubles du sommeil
Autre obstacle : les informations communiquées dans les médias durant le confinement « étaient parfois très anxiogènes ». Ce stress supplémentaire a provoqué chez certains des troubles du sommeil, observe-t-il. Sa solution ? La « cohérence cardiaque ». « Cette technique de respiration augmente la variabilité cardiaque et permet au corps une plus grande adaptabilité devant une situation de stress par exemple ; l'athlète apprend à contrôler son rythme cardiaque et à récupérer plus rapidement, détaille-t-il. Le cerveau contrôle le rythme de la respiration et impose au cœur de se recalibrer. » L'enjeu est de pouvoir réutiliser ces outils en toute autonomie dans d'autres circonstances.
Un métier passion
Pourquoi le handisport ? « C'est ce qui m'anime aujourd'hui, répond-il. J'ai toujours vécu et baigné dans le monde du handicap, ma sœur étant elle-même concernée. » Plus jeune, Philippe passe quatre ans dans le lycée Toulouse Lautrec, à Vaucresson (92), qui accueille des jeunes « valides » et en situation de handicap. Il découvre notamment le basket-fauteuil, se prend d'affection pour ceux qui le pratiquent et intègre leur équipe. C'est donc tout naturellement que, des années plus tard, en juin 2020, il quitte son poste de manager des systèmes d'information pour se lancer dans cette « aventure passionnante ».
Disponibilité, patience et adaptation
« Il y a peut-être des gens qui ont du mal à accepter le handicap, moi je le comprends, je l'accompagne, assure-t-il, même si cela demande parfois plus de disponibilité, de patience, d'adaptation. » Certains athlètes éprouvent des difficultés pour se déplacer, par manque d'accessibilité des transports notamment, alors Philippe Morlot se rend chez eux. D'autres peinent à faire le travail personnel chez eux, « il faut donc prendre un peu plus de temps, durant chaque séance, pour les aider à coucher leurs idées sur papier et à mettre en place un journal de bord digital », ajoute-t-il, en mettant en garde contre certains préparateurs « qui privilégient le business au détriment de l'écoute ». Son ambition : les aider à accomplir leur rêve et à atteindre leur plus haut niveau.