Handicap.fr : Vous faites boxer chaque semaine plus d'un millier de personnes, dont beaucoup en situation de handicap. Quels effets observez-vous dès les premières séances ?
Yann Mazé, directeur du programme « Boxe pour tous » de l'association Apollo : Ce qui frappe d'abord, ce sont les effets immédiats. La boxe sollicite énormément le cardio, c'est une activité qui met en route ce que j'appelle « l'usine à bonnes hormones » : dopamine (aide à se concentrer), noradrénaline (évacue ce qui parasite), endorphine (procure du bien-être), adrénaline. Les effets sont très concrets : baisse de l'anxiété, apaisement, meilleure attention, regain d'énergie.
H.fr : Et, au fil des semaines, quelles évolutions plus profondes voyez-vous apparaître ?
YM : Le gain de confiance en soi et le dépassement de soi. Quand on dit aux personnes que l'on accompagne en début d'année qu'elles finiront par faire 50 pompes, elles rient… et quelques mois plus tard, elles y arrivent. On observe de vraies transformations. Un jeune porteur de schizophrénie a même vu son traitement diminuer, sur décision de son psychiatre, grâce aux bénéfices du sport. Il est désormais plus présent, plus ancré.
La boxe permet aussi une reconquête du corps : posture, coordination, repérage dans l'espace. Et, surtout, elle crée du lien social : on se synchronise, on coopère, on échange avec son partenaire de ring. Beaucoup nous disent qu'ils se sentent enfin « comme les autres », intégrés dans un groupe.
H.fr : Cette dynamique sera au cœur de la deuxième Grande journée de la boxe pour tous, organisée au gymnase Jappy, à Paris (13e), le 13 décembre ?
YM : Oui, complètement. L'idée est de fédérer et d'effacer les différences. Dès qu'on franchit la porte du gymnase, on devient boxeur, peu importe son parcours, son handicap, son âge ou sa situation. L'idée est de créer un grand moment de fête et de joie, où chacun découvre la boxe à son rythme et pratique ensemble.
Les activités seront gratuites et en accès libre, pour que chacun puisse participer ou simplement regarder. On proposera aussi des ateliers atypiques, comme des sessions d'improvisation hip-hop avec écriture de punchlines, que les participants pourront déclamer au micro, ou encore un ring gonflable pour les personnes en fauteuil roulant, afin qu'elles puissent ressentir la sensation d'être « au milieu du ring ».
La journée sera également rythmée par trois conférences :
– la boxe et la santé mentale, grande cause nationale ;
– la boxe et l'héritage des Jeux de Paris 2024 ;
– la boxe et le MMA, un sujet très apprécié de la génération Z.
Le soir, place au gala inclusif : les participants montent sur un ring professionnel, devant 300 à 400 personnes, avec leur musique, les lumières… C'est une expérience extrêmement valorisante, un moment où ils sont reconnus et regardés autrement, parfois pour la première fois. Pour beaucoup, c'est un souvenir marquant. Et pour nous, c'est exactement ce que doit être la boxe pour tous : un outil d'inclusion et de mise en lumière.
H.fr : Comment est né le programme « Boxe pour tous » ?
YM : Par pur hasard ! En 2015, l'un des cofondateurs pensait proposer des séances de boxe à une entreprise ordinaire… mais c'était en réalité un Esat (Établissement et service d'accompagnement par le travail). Le directeur, passionné de sport, a tout de suite saisi le potentiel de la boxe pour ses travailleurs.
Au départ, Apollo organisait surtout des galas. Après la pandémie, en 2021, l'association s'est recentrée entièrement sur la boxe adaptée. Lorsque je suis arrivé en 2019, on accompagnait une quarantaine de personnes, aujourd'hui, elles sont plus d'un millier.
H.fr : Quel type de sportifs accueillez-vous ?
YM : Notre public est très diversifié : personnes avec un handicap moteur, sensoriel, psychique, mental, des TSA, troubles dys, ou encore jeunes issus de la protection de l'enfance, personnes sans-abri, seniors, femmes victimes de violences, personnes atteintes de la maladie d'Alzheimer… La boxe touche vraiment tout le monde.
Pour répondre à tous les besoins, nous proposons plusieurs formats : un accompagnement individuel pour ceux qui en ont besoin, des groupes de boxe adaptée et, quand c'est pertinent, une inclusion progressive dans des groupes classiques. Mais jamais de manière forcée : l'inclusion doit être bénéfique, pas imposée.
H.fr : Comment se déroule une séance-type ?
YM : Les séances, qui durent une heure pour les ados et adultes (à partir de 16 ans) et trente minutes pour les enfants (à partir de 6 ans), se divisent en quatre temps :
1. La chauffe : mise en route musculaire et cardio.
2. L'apprentissage technique : on décompose et on mime les gestes, on utilise beaucoup la pédagogie visuelle.
3. Le dépassement : c'est la partie un peu plus challengeante. On les pousse, mais toujours en tenant compte de leurs capacités, de leurs besoins, de leur état du jour. L'idée est de dépasser un peu la zone de confort, sans jamais les brusquer.
4. Le retour au calme : respiration guidée, étirements, recentrage. Essentiel pour finir la séance de manière apaisée !
H.fr : Quels aménagements techniques mettez-vous en place pour rendre la boxe accessible à tous ?
YM : Nous pratiquons une boxe défensive : aucun coup appuyé, uniquement de la touche. Nous avons aussi développé plusieurs adaptations : gants de karaté pour les personnes hypersensibles, grelots cousus sur les pattes d'ours pour les personnes malvoyantes, aménagement du matériel pour celles avec un handicap moteur.
H.fr : Et pour les nombreux jeunes autistes que vous accompagnez ?
YM : Avec eux, il faut des repères très clairs. On utilise des couleurs, des plots, des repères visuels et des séquences très ritualisées qui sécurisent. On travaille aussi avec des renforçateurs, essentiels pour maintenir la motivation. Il faut également partir de leurs centres d'intérêt. Parfois, pour engager un jeune, il faut être capable de parler… de trains ! C'est lui qui vous donne les clés. L'important, c'est que chacun progresse à son rythme dans un environnement où il se sent bien.
H.fr : Comment répondez-vous aux préjugés sur la violence supposée de la boxe ?
YM : En expliquant que la handiboxe (pour les handicaps moteurs et sensoriels) et la boxe adaptée (pour les handicaps mentaux, psychiques et cognitifs) n'ont rien à voir avec la boxe professionnelle. Nos objectifs ne sont pas sportifs, ils relèvent de la santé publique, le but est d'apprendre, de bouger et de partager. Une fois qu'ils voient que les coups ne sont jamais appuyés et que tout est très encadré, les familles et les établissements sont rassurés.
H.fr : Vous collaborez étroitement avec des psychologues, éducateurs et établissements médicosociaux. Comment cela fonctionne-t-il ?
YM : Nous co-construisons les séances avec eux. Nous avons, par exemple, bâti un projet avec les associations AFG Autisme et Novosports, accompagné par une chercheuse spécialisée dans les liens entre activité physique et autisme. Je travaille aussi avec une intervenante en psychoboxe, une pratique qui utilise la boxe comme médiation thérapeutique ; j'ai d'ailleurs contribué à un ouvrage sur ce sujet.
Nous remettons également à la fin de chaque cycle (trimestre ou année) des livrets de suivi, qui permettent aux équipes éducatives de suivre les progrès. Ces outils sont composés de deux volets : social (ponctualité, respect du cadre, travail en duo) et technique (mobilité, coordination, posture, compréhension des gestes de boxe). Les évaluations se font en couleurs, jamais en notes, pour éviter toute connotation scolaire ou stigmatisante.
Chaque cycle se termine par une remise de médailles et de diplômes. C'est un moment très fort, qui renforce la motivation et crée de l'émulation.
H.fr : Un message pour les personnes qui hésitent à monter sur le ring ?
YM : Venez sans pression le 13 décembre. On peut participer mais aussi simplement observer, prendre la température, sentir l'énergie, l'ambiance. C'est une journée pensée pour que chacun se sente accueilli, même ceux qui n'ont jamais enfilé les gants. La boxe pourra devenir une passion… ou juste offrir une parenthèse, un moment hors du quotidien, entouré et encouragé. L'important, c'est d'oser pousser la porte et de se laisser surprendre. Et si, à la fin, la personne repart avec un peu plus de confiance, de joie ou juste la fierté d'avoir essayé, on aura gagné !
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