« Hurlements toute la journée, violences physiques et morales, crachats, coups, griffures, morsures, problèmes de propreté, de sécurité, impossibilité d'enseigner… » Ecrit en gros, en gras. Avec, en titre : « Intégration scolaire, stop à la souffrance… des enseignants et des élèves ! » A quels terribles « bourreaux » sont donc confrontés les enseignants de Seine-Saint-Denis ? Tout simplement à des enfants handicapés. C'est en tout cas ce que laisse entendre le tract du syndicat Snudi FO 93 mis en ligne sur son site le 10 novembre 2015. Le moins que l'on puisse dire, c'est qu'il n'y va pas avec le dos de la cuillère. La liste des griefs à l'égard de la présence d'élèves handicapés est longue comme un jour sans pain. Et de réclamer, en conclusion, l'abrogation de la loi de février 2005 sur le handicap. Tout simplement !
Collecter des témoignages d'enseignants
Alors, certes, les auteurs de ce tract prétendent que son objectif est d'abord de mettre l'Education nationale face à ses responsabilités et non de « condamner ces élèves en très grande souffrance, bien au contraire. » Et d'expliquer que « suite aux nombreuses remontées, le conseil syndical du Snudi FO 93 a pris la décision de mener campagne et d'aller jusqu'au bout pour que toutes ces souffrances cessent. » Mais un syndicat d'enseignants peut-il à ce point méconnaître la valeur de mots ? L'intention première était apparemment de collecter des témoignages de professeurs d'école confrontés à des inclusions, disons, mal orchestrées ou problématiques ; un document interne en somme… Mais tout de même publié sur le Net ! Mais un syndicat d'enseignants peut-il à ce point méconnaître la portée du web ? Il se défend en arguant que « l'Etat, n'ayant jamais voulu prendre correctement en charge le handicap dans le cadre scolaire, se décharge sur les enseignants ». Et implore l'Education nationale et le DASEN de « trouver les solutions appropriées immédiates pour une bonne scolarisation de tous les élèves et ouvrir les postes spécialisés (RASED, CLIS, IME...), infirmières et médecins scolaires nécessaires et des AVS pour toutes les notifications ». C'est vrai, ce département connait un déficit en AVS, avec des délais d'attribution de plus d'un an, laissant parfois les enseignants face à des situations compliquées voire inextricables. Même si on peut entendre certaines de ces revendications sur le fond, comment ne pas s'indigner de la forme ?
Des professeurs d'école répondent…
William, enseignant dans le Val-d'Oise, un département voisin, admet que les moyens ne sont pas suffisants pour accueillir correctement les élèves handicapés mais « tout de même, ce discours à l'emporte-pièce semble, au premier abord, rejeter la faute sur les élèves handicapés ». G., institutrice à Toulouse et maman d'une petite fille autiste, connait la situation à double titre : « C'est vrai que dans le 93, les enseignants cumulent tous les problèmes mais je doute que la majorité des violences soient d'abord le fait d'enfants handicapés. Il faut éviter de faire l'amalgame entre problème de comportement et handicap. Le discours de ce syndicat est donc excessif, rétrograde et caricatural. Quelle épouvantable image renvoie-t-il de nos enfants ! Ce tract prend le problème complètement à l'envers ; il faudrait commencer par dire que l'inclusion peut se faire avec des enseignants bien formés et des AVS nommés en temps et en heure. Dans certaines régions d'Italie, par exemple, tous les élèves handicapés sont intégrés d'office avec la présence d'instits spécialisés et des effectifs réduits. L'inclusion en milieu ordinaire revient moins cher que des places en établissements spécialisés et s'avère plus efficace et bénéfique ».
Les parents s'indignent
Ce communiqué, publié d'abord sur Facebook, puis retiré, a évidemment déclenché une avalanche de réactions indignées et d'insultes de la part de parents d'enfants handicapés. Le Collectif citoyen handicap a aussitôt décroché son téléphone afin de s'entretenir avec l'un de ses auteurs. Son président, Jean-Luc Duval, lui-même papa de deux garçons autistes déscolarisés, connait bien le problème et condamne fermement les propos tenus par ce syndicat. « Mon interlocuteur m'a expliqué à quel point la situation est explosive dans ce département et comment, faute de bonnes conditions de prises en charge, certains enseignants pètent les plombs. Ils ont apparemment interpelé l'inspection académique qui leur a répondu que ce n'était pas son problème. » Et de rapporter que « ce syndicat ne se dit pas contre l'intégration des élèves handicapés (l'un des rédacteurs serait lui-même enseignant spécialisé et frère d'un garçon autiste) mais ne l'a pas formulé de la bonne façon ». Quelles que soient les raisons, Jean-Luc Duval regrette néanmoins que « ce genre de propos aussi extrêmes concoure à stigmatiser les élèves handicapés ». Face à cet amalgame, le CCH a proposé une rencontre afin de jouer carte sur table et de définir des actions communes. En attendant, le Snudi FO 93 n'a pas souhaité retirer ou amender ce tract polémique de son site (en lien ci-dessous), prenant le risque de laisser la colère s'embraser…