NEW DELHI, 27 fév 2014 (AFP) -
Plus de 20 familles accompagnées de leur fils ont rendu visite à Shanti Auluck, chez elle à New Delhi, dans l'intention d'arranger un mariage avec sa fille conformement à la tradition indienne. Mais à chaque fois, les rencontres se sont terminées par des excuses et un refus au moment d'apprendre qu'Auluck a également un fils, atteint de trisomie 21.
"Ils avaient cette impression qu'il pourrait avoir un impact négatif sur eux, qu'il pourrait déteindre sur eux. Il y a beaucoup d'ignorance sur le handicap", raconte Auluck à l'AFP. Alors Auluck, mère de deux enfants et docteur en psychologie, a appris à choisir ses mots avec soins. "Je dis oui +j'ai un fils+. Il a un travail mais il ne peut aller à l'université", dit-elle.
Les 40 à 60 millions de personnes handicapées mentales et physiques en Inde doivent affronter au quotidien discrimination et stigmatisation. Dans un pays où le statut social, en particulier au travers du mariage, est crucial, le handicap est fréquemment synonyme de marginalisation. "Beaucoup de familles cachent leur enfant handicapé car ils sont gênés", ajoute Auluck, qui dirige Muskaan, un centre de formation et de travail pour les personnes handicapées mentales.
Une loi très attendue visant à garantir aux personnes en situation de handicap l'égalité des droits, en particulier dans l'emploi et l'éducation, n'a pu être examinée complètement par le parlement qui vient d'achever sa dernière session avant les élections législatives prévues d'ici mai. Selon la presse, le gouvernement envisagerait désormais d'adopter le texte par le biais d'une ordonnance. Sonia Gandhi, présidente du parti du Congrès au pouvoir, avait promis son adoption, sept ans après l'adoption par l'Inde de la convention de l'ONU sur les droits des personnes handicapées.
Mais même avec une législation améliorée, les défenseurs des droits des personnes en situation de handicap s'attendent encore à des temps difficiles dans un pays où les attitudes, spécialement envers les femmes handicapées, sont profondement enrachinées, notamment dans les campagnes. Les femmes "sont plus vulnérables car traitées comme un poids par les familles et fréquemment victimes de violence domestique et d'abus sexuels", relève Shampa Sengupta, qui a travaillé auprès de personnes handicapées à Kolkata (anciennement Calcutta) pendant 25 ans. "Aussi bien au niveau familial qu'à l'extérieur, les gens considèrent la femme comme dépendante", dit Sengupta qui doit elle même combattre une dépression chronique.
Conséquence, les stérilisations forcées de femmes handicapées, surtout mentales, sont fréquentes, tout comme les avortements forcés, selon Sengupta. Dans certains cas, une femme handicapée est mariée à un homme à qui l'on "donne" également la soeur comme épouse, une façon d'aider le mari, assure-t-elle.
La police prend moins au sérieux les agressions sexuelles contre les femmes handicapées, ajoute Sengupta qui aide actuellement une famille dont la fille de 14 ans aurait été violée par un voisin.
Une si longue attente
Un autre militant, Abidi, né avec un spina-bifida congénital qui le cloue sur un fauteuil roulant, reconnait que la population doit être mieux informée pour changer d'attitude mais estime qu'une loi est tout aussi cruciale.
Le texte préparé par le gouvernement prévoit de garantir des allocations selon la catégorie de handicap et de donner plus de moyens aux handicapés pour lutter contre les discriminations. Certains groupes de défense des handicapés sont opposés à un changement de la législation, estimant que ce dernier projet de loi a été trop édulcoré.
Mais pour Zorin Singha, né sourd, sous-titrer plus d'émissions ou renforcer dans les médias la présence d'interprètes en langue des signes constituerait déjà une nette amélioration. Singha explique n'avoir rien appris à l'école car les enseignants, qui n'étaient pas formés au soutien des élèves sourds, ne cessaient de lui demander de parler. Le texte sur le handicap promet aux personnes handicapées l'accès à une éducation décente. "Nous attendons cela depuis l'indépendance, et certains d'entre nous même depuis plus longtemps", déclare-t-il.