Victoire des indépendants handicapés: leur job vaut des UB !

Les travailleurs handicapés indépendants vont enfin pouvoir être intégrés dans le quota d'obligation des entreprises. Dans le clan très fermé des UB ! Huit ans de combat mené par leur syndicat, l'Uptih. Victoire de son président, Didier Roche.

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* Uptih : Union professionnelle des travailleurs indépendants handicapés

Handicap.fr : Le 28 janvier 2016, grande victoire pour les travailleurs handicapés indépendants. Le décret d'application est publié (article complet en lien ci-dessous) ; leurs entreprises clientes pourront désormais comptabiliser le business réalisé avec eux dans leurs Unités bénéficiaires (UB). Expliquez-nous plus simplement…
Didier Roche : Jusqu'à maintenant, les entreprises de 20 salariés et plus soumises à l'obligation d'emploi de travailleurs handicapés qui faisaient appel à des indépendants ou chefs d'entreprise handicapés ne pouvaient pas les comptabiliser dans leurs UB ; à l'inverse un salarié handicapé ou la sous-traitance avec le milieu protégé (Esat) rentraient, eux, dans les quotas. Avec la loi Macron, les choses ont donc changé et nous n'entendrons plus : « Pas d'UB, pas de contrat ! ». Pour tous ces indépendants en situation de handicap qui avaient eu le courage de monter leur propre business, il devenait donc urgent d'aménager la loi.

H.fr : Vous êtes vous-même aveugle et lorsque vous créez votre première boite, on vous regarde un peu comme un extra-terrestre…
DR : Oui, les assureurs et les financiers m'ont vraiment fait la misère. Je leur ai dit : « Profitez-en car aujourd'hui je suis seul mais bientôt nous serons plus nombreux ». A l'époque, je découvre qu'il y a 35 000 indépendants handicapés, dont la plupart ont avalé pas mal de couleuvres. Je décide donc, en 2008, avec le soutien de trois étudiantes de l'Essec, de nous rassembler au sein de l'Uptih (Union professionnelle des travailleurs indépendants handicapés). C'est à la fois une plateforme de ressources et un syndicat.

H.fr : L'Uptih s'engage alors dans un long travail de lobbying pour faire changer la loi…
DR : Oui. Nous avons tout de suite évoqué ce dossier avec le ministre du gouvernement Fillon, qui nous a répondu : « C'est une super idée mais on n'y avait pas pensé ». Ensuite, nous avons rencontré des députés qui ont reconnu que le fait de ne pas prendre en compte les patrons « handi » était discriminatoire. Certaines de nos tentatives ont échoué ; alors, dans la perspective de la loi Macron, nous avons embauché une personne qui s'est dédiée à ce lobbying à temps plein.

H.fr : Aujourd'hui, combien y-a-t-il de travailleurs handicapés indépendants en France ?
DR : 71 600 en 2016. Chaque année, ils sont plus de 3 000 à solliciter l'Association de gestion du fond d'insertion des personnes handicapées (Agefiph) pour s'installer à leur compte.

H.fr : Vous faites tout cela pour vous ?
DR : Moi ? Non. J'ai d'ailleurs proposé que, dans la loi, on écrive « Sauf pour Didier Roche ! ». J'ai monté avec Edouard De Broglie et Fabrice Roszczka le groupe des restaurants et spas « Dans le Noir ? » et Ethik Connection et n'ai plus besoin de cela pour rouler. Non, je pense surtout à toutes ces boites et indépendants qui crèvent la gueule ouverte parce que les clients te répondent : « Ok mais à condition d'avoir des UB ».

H.fr : Même si votre action peut paraître légitime, vous n'avez pas que des amis sur ce dossier…
DR : En effet. Certains syndicats ou associations de personnes handicapées sont ouvertement contre au motif que cela risque de précariser l'emploi de ce public. Ils pensent que les employeurs vont être tentés de licencier leurs salariés pour les inciter à se mettre à leur compte, notamment en tant qu'autoentrepreneur, et ainsi sous-traiter leur travail. C'est n'importe quoi car ce serait, de toute façon, requalifié en salariat déguisé ; indéfendable devant les Prud'hommes. Les grosses associations gestionnaires d'Esat ont peut-être surtout peur qu'on diminue leurs UB en sous-traitance.

H.fr : Vous n'avez pas la dent tendre avec le milieu associatif…
DR : A chaque changement la peur, le protectionnisme, la crainte de l'avenir. Pour autant, le monde associatif n'est même pas au 6%, et son travail semble payer : plus 9% de chômeurs handicapés en un an ! Il serait bon de se poser la question : « A qui profite le crime ? ». Il est fortement subventionné, souvent sur un secteur marchand. Il forme à quoi le secteur associatif ? Trop souvent à des trucs dont les entreprises n'ont pas besoin. Il est vrai que c'est mieux de maintenir une équipe pédagogique de quelques personnes en place pour la sauvegarde de l'emploi de quelques valides au profit du chômage de plusieurs dizaines de travailleurs handicapés. Mettons ces quelques profs au chômedu et innovons dans des formations attendues par le monde pro. Le secteur protégé, quant à lui, a toute sa raison d'être à condition qu'il soit dans sa mission, mission parfois détournée au nom du profit. Le monde associatif est nécessaire dès lors qu'il n'est pas sur le secteur marchand car, alors, il profite des subventions pour vendre moins cher alors que l'argent qu'il perçoit devrait profiter à ceux écartés de notre système. Oui pour l'associatif à 200%, non au « charity business » ! La loi Macron ouvre des nouvelles voies ; elle a au moins ce mérite. Nous jugerons dans quelques années.

H.fr : Vous pensez que cette nouvelle disposition pourra vraiment avoir un effet bénéfique sur l'emploi ?
DR : Concrètement, on fait quoi pour faire diminuer le taux de chômage des personnes handicapées ? Pas grand-chose, et les politiques actuelles sont défavorables. Or les gens ont des talents et s'ils souhaitent les exprimer par le biais d'une certaine indépendance, pourquoi pas ? C'est juste une voie de plus pour l'intégration, parfois le tremplin vers une vie futur dans le salariat.

H.fr : D'autant que certains patrons déjà en fonction peuvent aussi devenir handicapés…
DR : Evidemment. On estime que 55% des personnes vont connaître une situation de handicap au cours de leur vie professionnelle ; les patrons ne sont pas épargnés ! On fait quoi d'eux ? Pour les TEP (Très petites entreprises), il ne faut que quelques mois sur la touche pour mettre une boite par terre avec tous ses salariés.

H.fr : Est-ce que le patronat se préoccupe vraiment de cela ?
DR : L'Uptih mène une réflexion avec le Medef (Mouvement des entreprises de France) sur cette question. Il n'existe pas d'offre pour les patrons en difficulté au sein de l'Agefiph. Elle aide les personnes handicapées qui souhaitent créer leur entreprise mais rien pour les patrons déjà en fonction. La loi Macron prévoyait donc d'élargir le dispositif ; nous espérons la création d'un fond de secours pour pouvoir les maintenir dans l'emploi.

H.fr : Vous y croyez ?
DR : Franchement, je ne sais pas si je vais y arriver mais si le Medef et le RSI (Régime social des indépendants) me questionnent, je saurai quoi leur répondre. Certaines mutuelles sont intéressées. Sur les 2,7 millions de chefs d'entreprise en France dépendants du RSI, 6 à 8% sont en situation de handicap. Comment les aider ?

H.fr : Vous avez déjà quelques solutions, en les aidant à se faire connaître…
DR : Oui, en 2015, nous avons créé le site tih-business.fr où les travailleurs handicapés indépendants peuvent déposer leur profil. Il y a déjà une quarantaine d'inscrits. Cela constitue un vivier pour les petites entreprises qui souhaitent sous-traiter avec eux. Avec la publication de ce nouveau décret, leur travail pourra donc entrer dans le cadre des UB. Pour un certain montant ; le calcul, un peu complexe, est défini par le décret d'application paru le 28 janvier 2016 (en lien ci-dessous).

H.fr : Les choses vont vraiment dans le bon sens ?
DR : Oui, c'est évident car l'Uptih sait taper du poing sur la table. Lorsque je décroche mon téléphone, mon interlocuteur m'écoute car il sait qu'il a affaire à un syndicat. Nous comptons 260 membres et sommes en train d'ouvrir une représentation à Lyon. Pour le moment, nous recevons au 31 rue de Reuilly, à Paris (12), sur rendez-vous, avec trois personnes à demeure et une salle de réunion.

H.fr : Cette aventure ne fait donc que commencer…
DR : Oui car, au-delà des questions « comptables », nous souhaitons que les indépendants soient reconnus pour leurs compétences. Avant d'être handicapés, ce sont surtout de vrais chefs d'entreprise. Et nous comptons le faire savoir…

© Olivier Merzoug Photographer

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"Tous droits de reproduction et de représentation réservés.© Handicap.fr. Cet article a été rédigé par Emmanuelle Dal'Secco, journaliste Handicap.fr"
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