Être handicapé et à la tête de sa propre entreprise, c'est possible, et même plus courant qu'on ne l'imagine. Professions libérales, artisans, chefs d'entreprise, artistes, autoentrepreneurs… Ils sont 71 600 travailleurs indépendants handicapés en France à avoir franchi le pas. Chaque année, ils sont plus de 3 000 à solliciter l'Association de gestion du fond d'insertion des personnes handicapées (Agefiph) pour s'installer à leur compte.
Laissés sur la touche
Mais, pour autant, leur statut n'apparaît pas une seule fois dans le texte de la loi handicap du 11 février 2005 ni dans ses manifestations. Dix ans plus tard, il était temps de pousser un coup de gueule puisque, concrètement, le recours à leur service ne permet pas aux entreprises (d'au moins 20 salariés) soumises à l'obligation d'embauche de personnel handicapé de bénéficier des Unités bénéficiaires correspondantes. Le fameux quota de 6 % ! L'embauche directe, oui ; la sous-traitance avec le secteur adapté (EA) et protégé (ESAT), oui ! Mais pas le travailleur indépendant ! Une drôle de façon de récompenser la prise de risque et l'autonomie professionnelle. « Nous travaillons déjà et nous nous battons tous les jours pour être compétitifs avec notre handicap, explique Didier Roche, l'un des cofondateurs, non-voyant, des restaurants et du spa « Dans le noir ? », et président de l'Uptih (Union professionnelle des travailleurs indépendants handicapés). »
Une lettre adressée à François Hollande
Didier a donc adressé une lettre, fin novembre 2014, à François Hollande, qui a pour titre : « L'appel des grands oubliés de la loi du 11 février 2005 sur le handicap ». Timing stratégique puisque c'est à Nantes qu'a eu lieu, le 24 novembre 2014, le premier des cinq rendez-vous de la 3ème Conférence nationale du handicap, qui s'achèvera par une réunion le 11 décembre à l'Élysée. C'était également la 18ème édition de la Semaine pour l'emploi des personnes handicapées. La mesure que défend l'Uptih depuis 2008 est, selon elle, « évidente, consensuelle, simple à mettre en place et elle fait déjà partie des engagements du Comité interministériel du handicap de septembre 2013. » Elle figure d'ailleurs dans les engagements écrits de cette CIH (page 19, voir lien ci-dessous ; les textes sont prêts et ne demandent qu''à être mis en œuvre. Il s'agit d'intégrer les contrats de prestations de services et de sous-traitance passés avec les travailleurs indépendants handicapés dans les modalités d'accomplissement de l'obligation d'emploi de personne handicapée (l'article L323-8 du Code du travail). Cette lettre a été signée par une quarantaine de personnalités dont Philippe Croizon, nageur de l'extrême, Paul Joly, président du Comité national du handicap, Jérémy Ferrari, comédien et humoriste, Nils Tavernier, réalisateur du film « De toutes nos forces » ou encore Philippe Pozzo di Borgo, l'homme qui a inspiré le film « Intouchables ».
Un accord gagnant-gagnant
Selon Didier Roche, « cela représente un accord gagnant-gagnant entre les travailleurs handicapés, les entreprises ou organisations publiques et l'État. Ce devrait être un droit des travailleurs handicapés de pouvoir choisir le statut professionnel d'indépendant tout en bénéficiant des dispositions de la loi de 2005. Il est essentiel d'ouvrir toutes les portes possibles du marché de l'emploi aux personnes handicapées. » C'est également une nouvelle opportunité pour les organisations privées et publiques qui travaillent régulièrement avec des indépendants de remplir partiellement leur obligation d'emploi et de dénicher de nouveaux talents à recruter. L'Uptih estime la source d'économie pour l'État à environ un milliard d'euros « puisque les travailleurs indépendants qui se versent un salaire ne reçoivent plus d'allocations mais, au contraire, créent de la valeur, payent des charges sociales, augmentent leur pouvoir d'achat et retrouvent un statut valorisant dans la société. »
Une opportunité pour la sphère économique
Il est vrai que la France peine à recruter, que le handicap, et plus globalement toute forme de diversité, inquiète le milieu ordinaire de travail. L'Uptih souhaite donc convaincre que cette mesure pourrait constituer une opportunité pour la sphère économique « de rencontrer des individus compétents d'une autre nature ». Il devient urgent que la loi soutienne « celles et ceux qui ont fait le choix d'exister dans l'indépendance ». L'occasion, également, pour les entreprises d'aborder le « handicap » ponctuellement, avec une relation de prestation moins engageante qu'un contrat à durée indéterminée.
Bon espoir avec la loi Macron
Mais les choses semblent bouger. Bon espoir que laissent entrevoir les modifications du Code du travail d'après le projet de loi pour l'activité. Une version du 24 novembre a été rendue publique par la Fédération nationale des unions de jeunes avocats. Y figure un rajout dans l'article L 5212-6 : « L'employeur peut s'acquitter partiellement de l'obligation d'emploi en passant des contrats de fournitures de sous-traitance ou de prestations de services avec… des travailleurs indépendants handicapés bénéficiaires de l'obligation d'emploi définie à l'article L. 5212-13. » Cette « loi Macron pour libérer la croissance » entendra-t-elle leurs doléances ?