Il y a 13 ans, Priscille Deborah a été victime d'un lourd accident de la vie et, malgré sa triple amputation, elle a retrouvé le goût de vivre, rencontré l'amour, fondé une nouvelle famille et assumé sa passion pour la peinture… Aujourd'hui, l'artiste s'apprête à recevoir un bras bionique, une première en France !
Vieillir avec un handicap
« Le handicap est une chose mais vieillir avec en est une autre. Il faut savoir préserver ce qu'il reste de notre corps et envisager des solutions de prévention dans la perspective de garder un maximum d'autonomie », explique la quadragénaire. Triple amputée, elle sollicite excessivement son bras gauche, son canal carpien commence à fatiguer, « il est temps de le soulager ». Sa prothèse myoélectrique au bras droit demande des efforts considérables et lui fait perdre un temps précieux. « Pour ouvrir la main, je dois contracter les muscles qui tendent mon coude et, pour la fermer, ceux qui fléchissent mon coude », détaille-t-elle. Un mouvement « illogique » et laborieux. Priscille rêve de pouvoir le réaliser instinctivement, comme avant. Seule solution : une prothèse de bras bionique, commandée par le cerveau. Durant cinq ans, elle affine ce projet avec son prothésiste. « Je lui avais dit que le jour où ça se concrétiserait, je voulais bien être la première à tenter l'aventure », se souvient-elle. Mais il faut répondre à certains critères : accepter d'y consacrer beaucoup de temps, ne pas être trop âgé -« Ouf, j'ai eu chaud avec mes 44 ans ! »-, avoir déjà utilisé une prothèse de bras myoélectrique et avoir une super motivation. Celle de Priscille ? Tenir sa fille par la main pour l'emmener à l'école. Pour cela, elle devra faire preuve de patience. Première étape : l'opération chirurgicale.
Opération inédite
21 novembre 2018. Nantes. Priscille est la première française à bénéficier de la technologie TMR (Targeted muscle reinervation, soit réinervation musculaire ciblée). Durant plus de cinq heures, les chirurgiens reconnectent les nerfs sectionnés, qui commandaient autrefois son poignet, sa main et son avant-bras à des muscles de son bras afin qu'ils retrouvent leur fonction motrice initiale. Autrement dit, quand Priscille voudra ouvrir la main de sa prothèse, elle enverra une information au nerf qui, avant l'amputation, permettait d'ouvrir sa main droite. Cette technique a été utilisée pour la première fois aux Etats-Unis, en 2003. Depuis, entre 100 et 200 patients dans le monde en ont bénéficié. Cette intervention permettra donc bientôt à Priscille d'exécuter des mouvements de manière intuitive et naturelle « et même de faire des commandes simultanées, comme déplier le coude et ouvrir la main », se réjouit-elle. Mais le plus gros reste à faire… Après l'intervention, il faut attendre que les nerfs repoussent dans les muscles, « sachant qu'ils croissent comme des cheveux, à raison d'environ un millimètre par jour ». Cette étape est décisive car « s'ils ne repoussent pas, cela signifie que l'opération a échoué », apprend Priscille. Quelques mois plus tard, le verdict tombe : les trois nerfs reconnectés permettent d'avoir des contractions musculaires exploitables.
Rééducation intensive
Pour retrouver la fonction motrice initiale, Priscille doit apprendre à renforcer et à dissocier chacun des muscles ré-innervés. Pour cela, elle doit suivre un protocole de rééducation au centre de réadaptation de la Tourmaline, à Nantes, à raison d'une semaine par mois durant au moins un an. Sa première séance a eu lieu le 1er avril 2019. Elle s'entraîne avec une prothèse de prêt sur socle, avant d'avoir la sienne. « Elle sera semblable à celle que j'avais auparavant sauf qu'elle disposera de cinq capteurs au lieu de deux et que le coude sera électronique », décrit-elle. Mais cette technologie coûte excessivement cher : environ 100 000 euros la prothèse, dont environ 30 000 euros remboursés par l'Assurance maladie. Sans compter une éventuelle main articulée estimée à près de 60 000 euros, sans prise en charge. L'association « Unis pour l'autonomie » se mobilise donc pour Priscille le 12 avril à 19h lors de l'Albi run urbain ; plus de 1 000 participants vont courir sur 7 ou 11 km, à raison de 12 euros par personne, pour l'aider à financer son bras bionique. Par ailleurs, Priscille a lancé une campagne de financement participatif et compte démarcher des mécénats d'entreprise.
« Un Allemand qui utilise cette prothèse m'a confié qu'elle était géniale et que ça lui changeait la vie », s'impatiente-t-elle. Droitière à l'origine, elle s'imagine déjà en train de peindre et de sculpter avec sa main dominante. Perdre son style ? Impossible ! « Ma démarche fait appel à l'émotion, au lâcher-prise, rétorque-t-elle. Je ne cherche pas de geste précis, au contraire, j'attends plutôt un mouvement accidentel. » Depuis plusieurs années, elle livre des performances passionnées lors de concerts ; avec sa nouvelle main, elle veut aller encore plus loin et projette de faire des prouesses « ambidextres ».