Intelligence artificielle et handicap : boosteur d'emploi ?

L'intelligence artificielle est en passe de révolutionner la manière de travailler de tous les individus sur la planète, y compris les personnes handicapées. Fariha Shah, directrice de Golden Bees*, fait un point sur ces nouvelles opportunités

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Handicap.fr : Tout d'abord, comment définissez-vous l'intelligence artificielle (IA) ?
Fariha Shah : C'est une technologie qui, via le traitement d'un volume de données très important, non accessible à l'être humain classique, permet de prendre des décisions ou de mettre en marche des actions de manière plus parfaites, intelligentes et pertinentes que le cerveau humain.

H.fr : Dans le domaine de l'emploi, comment cela se manifeste-t-il ?
FS : Tout ce qui est produit dans le domaine de l'emploi et du numérique a pour objectif de faciliter les usages de l'utilisateur, notamment les phases de recrutement et d'embauche. Nous l'utilisons chez Golden Bees pour faire correspondre des milliers d'offres d'emploi et des profils d'internautes. Ce système nous permet, entre autres, de connaître leurs intérêts professionnels et leur comportement face à des offres d'emploi.

H.fr : Cela ne concerne donc pas uniquement des personnes qui sont, effectivement,  à la recherche d'un emploi ?
FS : Exactement, tout le monde peut être touché. La recherche est automatisée : la personne n'a plus de démarche active à faire, les emplois viennent à elle en fonction d'informations que l'on a obtenues.

H.fr : Ce système permet-il de mettre en avant des profils de travailleurs handicapés recherchés par les entreprises ?
FS : Bien sûr, c'est typiquement ce qui peut être fait pour faciliter la rencontre entre l'entreprise qui recherche des profils spécifiques et le demandeur d'emploi, à condition qu'il mentionne sa RQTH. C'est un avantage pour les deux parties. Mais des solutions permettent de mettre surtout en avant les "soft skills" (ndlr : compétences personnelles) de chacun avant de les faire correspondre avec les attentes des recruteurs. Un même profil peut matcher avec plusieurs recruteurs sans qu'ils ne sachent forcément que le candidat est en situation de handicap ; c'est tout l'intérêt de l'intelligence artificielle. Ainsi, l'employeur analyse d'abord la personnalité et évalue la capacité de cette personne à s'intégrer dans son entreprise et  à apprendre puisque l'on sait que, dans de nombreux cas, le handicap n'empêche ni l'apprentissage ni les compétences.

H.fr : En somme, l'objectif est de donner sa chance à chacun ?
FS : Exactement, ce système a été pensé pour des profils issus de la diversité : qui ont peu d'expérience, ne parle pas la langue du pays ou des personnes qui sont en reconversion totale. Au-delà des capacités, la personnalité est de plus en plus importante dans les recrutements.

H.fr : Cette approche concerne-t-elle tous types de métiers ?
FS : C'est extrêmement varié : du poste d'agent administratif, pour les personnes en fauteuil roulant par exemple, qui ne nécessite aucun déplacement, à la manutention pour une personne malentendante... Il est possible de s'adapter. Avec l'intelligence artificielle, encore une fois, c'est la personnalité qui prime et non le handicap. C'est important car de nombreux préjugés persistent dans le monde du travail. Mettons-les de côtés et augmentons les chances de séduire le recruteur.

H.fr : Ces dernières années, on note une recrudescence d'embauches de personnes autistes Asperger. Des grosses entreprises comme Google et Microsoft ont notamment été séduites. De votre côté, avez-vous remarqué cette "tendance" ?
FS : En toute honnêteté, non. C'est un modèle et tout le monde sait qu'on a intérêt à "surfer sur cette vague" mais ce n'est pas encore le cas.

H.fr : On entend souvent que l'intelligence artificielle pourrait créer jusqu'à 21 millions d'emplois mais qu'est-ce que cela signifie concrètement ?
FS : L'IA va créer de nouveaux emplois et ceux qui existent vont se transformer. De nouveaux profils vont donc apparaître mais c'est la suite logique de ce qui existe déjà. Les métiers liés au traitement des données et tous ceux qui peuvent être automatisés sont, en revanche, amenés à disparaître.

H.fr : Un exemple ?
FS : Si on extrapole un peu, le diagnostic d'un médecin généraliste peut aussi être automatisé. Aujourd'hui, certaines technologies sont déjà capables de faire des diagnostics si on leur fournit assez de données. Ça fait un peu peur mais cela ne signifie pas pour autant la fin des médecins, plutôt une évolution. Ils auront davantage un rôle d'accompagnement basé sur le conseil, l'empathie et l'humain mais leur savoir-faire en termes de détection de pathologie n'aura plus aucun sens. Tous les nouveaux métiers vont se créer autour de l'automatisation et c'est déjà le cas pour la banque. Le service-client peut se faire en ligne grâce à des "chatbots" (ndlr : assistants virtuels) capables de répondre à des problématiques automatiquement. Ces machines sont en auto-apprentissage de manière permanente et ne commettent jamais deux fois la même erreur. L'homme, quant à lui, aide la machine à se perfectionner.

H.fr : Plus spécifiquement, l'IA est-elle en mesure d'accompagner les travailleurs handicapés qui ont des restrictions et pourraient, grâce à tous ces nouveaux outils, compenser leur handicap ?
FS : Ces compétences sont plus liées à la biotechnologie… Mais, effectivement, avec les avancées observées,  il pourrait être rapidement question d'anticiper ou de compenser un handicap. C'est un domaine très puissant et qui va extrêmement vite grâce à cette énorme base de données que nous nourrissons au quotidien mais je pense que ces transformations viendront d'abord des GAFA (ndlr : "les géants du web" : Google, Amazon, Facebook et Apple) plutôt que des petits acteurs de la technologie en Europe.

H.fr : Un certain fantasme plane autour de l'IA... Alors, finalement, est-ce qu'on doit redouter que les robots finissent par nous remplacer ou est-ce une plus-value pour l'Homme en général ?
FS : Tout ce qui est fait par l'intelligence artificielle a pour unique but de nous faciliter la vie donc notre société finira par l'accepter totalement. Et même si cette approche va détruire des emplois, c'est indéniable, elle va aussi en créer, augmenter la valeur des profils de chacun mais également nous pousser à diriger notre concentration intellectuelle vers d'autres sujets. L'IA intervient donc pour perfectionner ce qui existe déjà mais viendra aussi le moment où il faudra la contrôler car cela risque de nous dépasser très rapidement. A partir du moment où elle devient autonome, capable de prendre des décisions pour plusieurs machines, ça peut devenir compliqué. En France, nous n'en sommes pas là mais, de l'autre côté de la planète, aux États-Unis, ils sont très en avance et ont énormément de données. Ils travaillent depuis des années sur ce sujet et créent des IA très puissantes, capables de devenir autonomes. Il faut être conscient de ce qui est en train de se passer… Mais là où nous avons des règles, des pays comme la Chine et les États-Unis n'en ont pas et, de ce fait, ils rendent leurs outils et leur technologie beaucoup plus puissante quand nous sommes encore un peu limités. Le danger, c'est aussi que l'on reste en marge.

* Golden Bees : start-up spécialisée dans le ciblage de candidats via la publicité programmatique

© phonlamaiphoto/Fotolia

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