« C'est un matin calme et doux, mais sans rayon de soleil, je crois ». La première phrase du livre de Jacques Sémelin dit tout du projet littéraire dans lequel il emmène ses lecteurs. Dans Je veux croire au soleil, publié en avril 2016, l'historien, aujourd'hui professeur à Science Po, raconte son séjour au Québec. Invité à enseigner à Montréal, il relate son départ à Roissy et tout ce qui s'ensuit : le nouveau logement, les préjugés de la propriétaire, le quotidien souvent semé d'embûches, la solidarité d'inconnus... « Ce livre est un récit pour la vie. J'espère pouvoir toucher un large public afin que chacun puisse prendre conscience du mode de vie d'un non-voyant. Le lecteur y découvre mon monde à travers les sens qui me sont propres », confie-t-il.
La cécité, pays mystérieux
Je veux croire au soleil est un récit de voyage d'un genre nouveau. L'ouvrage semble répondre à des interrogations à travers des anecdotes pratiques, évoquant bien souvent l'anxiété de l'auteur, les découvertes quotidiennes, l'utilisation d'outils de travail adaptés. Les astuces aussi : suivre les talons des femmes pour marcher droit, porter un chapeau à larges bords pour éviter les obstacles… En quatrième de couverture, son résumé pose justement les mots sur l'expérience vécue par le chercheur : « La réalité quotidienne d'un non-voyant est un pays étranger. Quel est son rapport au monde ? À la ville et à la nature, à la nécessité de se déplacer, d'utiliser des écrans tactiles, de traverser les rues, de reconnaître les gens ? ». Ces questions, Jacques Sémelin se les pose d'abord seul, à 16 ans, lorsqu'on lui annonce qu'il est amené à perdre la vue. Personne ne peut lui dire quand précisément. Il décide de ne rien dire à son entourage. Une course contre la montre ; il s'agit d'écrire avant la plongée dans le noir. Brillant et déterminé, Jacques voit mal mais vise loin. Il en fera sa devise et taira sa maladie rétinienne pendant plus de dix ans.
Faire fi des découragements
Malgré son handicap, l'universitaire gravit les échelons de la recherche et obtient une thèse en histoire contemporaine à la Sorbonne. Sa vue diminuant, il fait face aux remarques décourageantes d'un directeur de thèse qui lui conseille d'abandonner le métier de professeur. Heureuse succession d'événements, Jacques est sélectionné, au même moment, pour un post-doctorat à l'université d'Harvard, (où il écrira Sans armes face à Hitler, traduit en six langues). « On m'invitait pour mon travail sans rien savoir de ma cécité. Je leur ai écrit pour les prévenir, j'ai attendu leur réponse une semaine ; avant de recevoir ce coup de fil dont je me souviendrai toute ma vie. Je me rappelle avoir simplement entendu : « De quoi aurez-vous besoin ? »
La peur, peste sociale
Aujourd'hui directeur de recherche au CNRS, militant et spécialiste de la non-violence, Jacques Sémelin est reconnu pour ses travaux sur les génocides et la propagation de la peur dans la société. La peur, il la compare à la peste pour les conséquences qu'elle engendre. « La peur est salutaire si vous vous retrouvez en face d'une bête féroce et menaçante. L'autre peur, sociale, est une émotion toxique. Elle ronge les esprits et mène à l'exclusion ». Cette peur terrible, il l'a éprouvée, source d'angoisses intériorisées pendant des années. Pourtant, en dépit de l'obscurité, de cette « bulle de gris » dans laquelle il dit vivre, Jacques Sémelin a poursuivi ses rêves et veut toujours croire au soleil ; s'il ne voit plus ses rayons, il les sent toujours sur sa peau...
© Jacques Sémelin / Éditions Seuil / Éditions Arènes