L'Europe du handicap serait-elle en ordre de marche… à la faveur d'initiatives locales ? Car plutôt que d'attendre des actions d'une Union tentaculaire, pourquoi ne pas mettre à profit les jumelages pour faire émerger et mettre en commun de belles idées. C'est en tout cas le pari (osé ?) de quatre villes européennes : Châtellerault (France), Velbert (Allemagne), Corby (Angleterre) et Igoumenitsa (Grèce).
Un grand projet commun
Elles se sont rassemblées sous une même bannière, le projet « Fo(u)r Europe » initié en 2013 et financé par le programme« L'Europe pour les citoyens - Mise en réseaux de villes jumelées ». Après s'être réunies une première fois à Velbert, les délégations se sont envolées pour les rives de la mer Adriatique, au nord de la Grèce, accueillies dans la cité balnéaire d'Igoumenitsa du 7 au 11 octobre 2014. Philippe Croizon, le nageur amputé des quatre membres, s'est joint à cette expédition, espérant convaincre son auditoire que, même handicapé, tout est possible.
Un pays en banqueroute
Plages de sable fin, soleil radieux et été sans fin. Un décor de rêve qui dissimule pourtant une toute autre réalité. Dans une Grèce en banqueroute, où les services publics ont depuis longtemps trépassé, les plus vulnérables subissent la pénurie de plein fouet et doivent compter sur l'implication de bénévoles et d'associations, comme la Croix rouge, très présente lors de ce colloque, pour assumer les carences d'un système social à l'agonie. Un centre pour enfants handicapés, créé à l'initiative d'une association locale accueille l'une des trois tables rondes, celle consacrée au handicap (les deux autres portant sur l'emploi et la jeunesse). Un bâtiment récent de trois étages, une salle de bien être, des aménagements flambant neuf… Mais laissés à l'abandon. La faute à l'ascenseur qui n'a jamais été installé. 25 000 euros en attente, depuis 10 ans, qui compromettent l'accès aux chambres et obligent donc l'association à n'accueillir qu'une vingtaine d'enfants, de jour, au rez-de-chaussée.
800 euros : une aubaine ?
A côté, l'Angleterre, l'Allemagne ou la France font figure de nantis. Pays où l'état providence, même si on nous assure qu'il vit ses dernières heures, semble encore assez solide pour assurer le « minimum » vital à ses citoyens. C'est en tout cas ce qu'affirme une étudiante grecque handicapée qui ouvre de grands yeux ébahis lorsqu'elle apprend qu'en France, un bénéficiaire de l'AAH (Allocation adulte handicapé) célibataire touche 800 euros par mois, l'équivalent du salaire moyen en Grèce où, à titre de comparaison, le prix du litre d'essence atteint des sommets : 1.86 euros le litre !
Une initiative encourageante
Pourtant, partout, la récession fait planer son ombre menaçante. « L'argent c'est le nerf de la guerre, explique Philippe Croizon. Des idées on en a mais comment les mettre en œuvre ? Des pays comme l'Allemagne, la France et l'Angleterre ont manifesté des volontés assez fortes d'agir en faveur des personnes handicapées. Mais c'était avant la crise ! C'est pourquoi je trouve cette initiative particulièrement encourageante. Une belle énergie anime les participants qui vont tenter de mettre des choses en œuvre, à leur mesure, localement. C'est peut-être une goutte d'eau au niveau européen mais qui pourrait se transformer en grande rivière. » Judy Caine, membre de la délégation anglaise, approuve : « Des idées intéressantes ont émergé qui peuvent impulser de grands desseins ». Un échange entre les résidents de l'IME de Châtellerault de l'Apajh 86 et un établissement allemand est d'ores et déjà au programme.
Priorité à l'autonomie
Ce que l'on retient surtout de cette rencontre européenne, malgré la diversité des cultures et des politiques, c'est un appréciable consensus sur l'autonomie de la personne handicapée. Ils étaient nombreux, dans chaque délégation, à venir témoigner de leur vie professionnelle, sociale ou affective, à l'instar d'Anthony, le Français, qui travaille en ESAT et vit en couple, ou de Katarina, l'Allemande, multi médaillée en sport adapté (destiné aux personnes avec un handicap mental). En dépit du stress, ils ont saisi le micro, ne l'ont plus lâché. Veulent se faire entendre, participer.
Inclusion scolaire : le consensus !
L'inclusion scolaire est également dans toutes les bouches, déjà bien engagée en France ou en Allemagne, encore expérimentale en Grèce. Chacun apporte sa pierre à l'édifice. La France s'inspirera-t-elle de l'expérience allemande menée par une école de Velbert : un instrument pour chaque enfant qui, à travers le rythme et à la musique, les met tous, qu'ils soient valides ou handicapés, au diapason. Musique encore à Corby où la radio locale a créé une « académie » qui accueille également des jeunes étudiants « à besoins spécifiques ».
En Grèce, la fraternité se dessine sur des airs de sirtaki, farandole européenne qui dit tout l'espoir qu'elle a à collaborer, agir et espérer... Prochaine étape sous d'autres climats : ce sera en mai 2015, à Châtellerault. Avant la grande conférence de clôture à Velbert un mois plus tard.