Ils s'apprivoisent, se rapprochent, s'enlacent... Aurore, Pierre et Thomas sont en situation de handicap. Animés par une incroyable énergie, ils vont se réapproprier leurs corps au travers de la danse intégrée, guidés par de jeunes danseurs talentueux. Au fil des chorégraphies, ils se livrent sur leur vie sentimentale et leur quotidien pas toujours évident. Laissez-moi aimer met en lumière trois amis en situation de handicap, trois destins qui découvrent l'art de se mouvoir. Un documentaire* virevoltant signé Stéphanie Pillonca, à retrouver sur Arte le 4 août 2021 à 22h30 mais également déjà en streaming (en lien ci-dessous).
Danser avec son âme
Entre Pierre et la danse, ça n'a pas été le coup de foudre. « Au début ça m'emmerdait », admet le jeune homme, victime d'un AVC (accident vasculaire cérébral). Il faudra trois cours pour le faire changer d'avis. Difficile pour lui de se concentrer sur ses mouvements lorsqu'il aperçoit Aurore, « enfant de la lune », qui brille par sa douceur et sa présence solaire. Mais sur le parquet de Cécile Martinez, initiatrice de la « danse inclusive », il ne s'agit pas seulement de faire des jeux de jambes. L'objectif est de « faire tomber les barrières et de trouver une nouvelle façon de danser ». Elle invite ses apprentis à montrer ce qu'ils ont dans les tripes, à extérioriser ce qui se passe « à l'intérieur ». Pas habitué aux grands jetés et autres pirouettes ? « On s'en fout totalement », l'essentiel est de « danser avec son âme », rassure la prof.
Une valse de bon augure ?
C'est à 25 ans que cette chorégraphe découvre le handicap, lors d'une rencontre avec des enfants polyhandicapés. « Ces jeunes, aux prises avec leur appareillage, rêvaient de parler avec ce corps qui n'était que déséquilibre émotionnel et physique », se souvient Cécile Martinez. Ni une ni deux, elle fonde l'association Au nom de la danse et décide d'en intégrer certains dans ses cours, au milieu d'enfants « valides ». « L'émulsion et la joie sont immédiates, entre eux se créent la confiance et le respect », assure-t-elle. Une fusion et une complicité qui ne laissent pas son amie d'enfance, Stéphanie Pillonca, insensible. « Bousculée et émerveillée » par cette fusion singulière, elle décide d'en faire un film. « Ce qui me touchait, c'était de voir des jeunes filles de 16 ans, bienveillantes, dans le don et dans l'altruisme avec les danseurs en situation de handicap. Elles s'emparent de ces corps avec un égard, un soin et une tendresse incroyables, souligne la réalisatrice. A travers elles, nous pouvons pressentir que les mentalités vont changer par rapport au handicap... Les générations nouvelles vont sûrement aller au-delà des différences... »
Des héros du quotidien légitimes
Ici, l'émotion est reine et dicte l'écriture du film. Pas de place pour le jugement ni le misérabilisme. Il est question d'amour, de tolérance et d'ouverture d'esprit. « Tous ces hommes et femmes différents, vivant dans des institutions ou isolés, vers lesquels on ne va pas forcément, je trouvais ça très beau et audacieux de les mettre dans la lumière. Qui y met-on habituellement ? Les admirables, les stars, les désirables ! Alors que, finalement, ils sont tout aussi légitimes car ils nous ouvrent la voie vers la tolérance, l'amour et la bienveillance », affirme Stéphanie Pillonca. Avec ce film, elle entend montrer que chaque personne a quelque chose d'unique qui mérite d'être mis en valeur. Selon elle, les héros du quotidien sont aussi méritants que ceux qui réalisent des exploits sportifs ou entrepreneuriaux. « Souvent quand on évoque le handicap, on montre des types exceptionnels du genre : "Oh oui, il a traversé la Manche !" ou "Ah, il peint avec sa bouche !", "Elle est autiste mais elle a ouvert quatre entreprises !". Ce qui voudrait dire que pour en parler, il faudrait aller chercher seulement les grosses têtes, les magiciens du handicap ? Les brillants ? Les surhommes ? Non ! », rétorque-t-elle. Au-delà du divertissement, le but de ce film est de sensibiliser et de réinterroger la place des personnes handicapées dans la société et le regard que l'on pose sur elles. « Je voulais montrer qu'ils sont "Nous" et nous sommes "Eux" », ajoute Stéphanie.
Hymne à la vie
Outre le handicap, ce documentaire sublime, plus généralement, la différence en abordant notamment l'homosexualité et le rôle des aidants. « Laissez-moi aimer, c'est une histoire d'amour, un hymne à la vie, un manifeste et un hommage à ceux qui aident, aiment et partagent. Sa réalisation est à la fois sensible et crue », estime Justine Planchon, directrice des programmes de 3e Oeil Productions. Pour un rendu « authentique », Stéphanie Pillonca a volontairement éclipsé le « point de vue du valide ». Montrer les parents ou l'entourage ne « l'intéressait pas car malheureusement, en France, notre œil est un peu condescendant envers le handicap », déplore-t-elle. « Ce film est ma manière à moi de dire que, finalement, le handicap 'on s'en fout'. Dans l'amour, la difficulté et la solitude, nous sommes tous égaux ! » Une vision audacieuse qui a séduit Anne Charbonnel, chargée des programmes d'Arte : « Les personnages sont parfois lourdement handicapés mais la force de Stéphanie est de nous le faire totalement oublier pour ne voir que des hommes et des femmes traversant des histoires universelles d'amour, de vie, de colère et d'humour. »
Le handicap, un moteur
Il faut dire que la réalisatrice n'en est pas à son coup d'essai. En 2013, dans Je marcherai jusqu'à la mer, elle dresse le portrait d'une jeune femme handicapée menant une vie tambour battant. « Sans Alexandra, l'héroïne de ce premier documentaire, rien ne serait ! Pourtant clouée dans son fauteuil, cette fille m'a tout donné ! », reconnaît Stéphanie. De ses deux films sur le handicap, elle tire une leçon : « Dans la vie, il faut être attentif aux plus 'faibles', aux plus vulnérables, car ils sont des géants, des phares qui nous guident vers les plus belles émotions ! ». En 2021, Stéphanie se glisse une nouvelle fois derrière la caméra pour Handi-gang, la nouvelle fiction de TF1 tournée à l'été. C'est l'histoire d'un jeune homme en fauteuil qui, entouré de sa bande de copains, valides ou pas, « entreprend de régler le problème de l'accessibilité par l'action directe »… Il sera incarné par Théo Curin, le jeune nageur quadri-amputé, aux côtés d'Alessandra Sublet, sa maman dans le film, de Lola Dewaere et de Bruno Wolkowitch (article en lien ci-dessous).
* Co-production 3ème Oeil Productions