Blessés, handicapés, traumatisés: leur vie après l'attentat?

Quel avenir pour les blessés des attentats ? Le choc post-traumatique continue de faire voler des vies en éclat : impact psychologique, maladies chroniques, dépressions. Le point sur des maux silencieux avec Caroline Langlade, rescapée du Bataclan.

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*Life for Paris, association qui regroupe environ 700 victimes des attentats du 13 novembre 2015

Handicap.fr : Lorsqu'à Nice, un an après, vous voyez 86 faisceaux de lumière brandis vers le ciel en hommage aux victimes décédées, vous ne vous dites pas « Et les blessés » ?
Caroline Langlade : On a en effet du mal à rendre hommage aux vivants. Il y a toujours une empathie plus grande pour les victimes décédées car tout le monde a déjà été confronté à la mort ; il est plus difficile de se mettre à la place des personnes traumatisées, on a du mal à se projeter dans une souffrance qui, souvent, n'est pas entendable. Il faut le dire clairement : ça fout la trouille !

H.fr : Les médias ont-ils également une responsabilité en parlant assez peu des blessés ?
CL : Lors de l'attentat du Grand Véfour, en 1983, qui n'avait fait aucun mort, un media avait titré : « Plus de peur que de mal !». Lorsqu'on connait les conséquences sur, notamment, Françoise Rudetzki, qui a dû subir des dizaines d'opérations tout au long de sa vie (article en lien ci-dessous), c'est quand même insensé ! Un an après les attentats du 13 novembre, lors de la cérémonie d'hommage, une minute de silence a été observée dans tous les lieux touchés, sauf au Comptoir Voltaire, là où l'un des terroristes s'était fait exploser, parce qu'il n'y avait pas eu de mort. On a même parlé d'« attentat raté » alors qu'il y a pourtant eu des blessés avec des impacts physiques importants. Parfois, lors d'interviews, des journalistes me disent : « Ça va, vous n'avez pas été blessée. » Mais ils ne savent pas que j'ai plein d'emmerdes de santé. On en est vraiment qu'au tout début du chemin dans la prise en compte du stress post-traumatique.

H.fr : A-t-on le chiffre exact du nombre de blessés suite aux attentats du 13 novembre ?
CL : Plus de 400 personnes ont été prises en charge le soir même mais plus de 3 000 ont été touchées directement. La plupart rencontre aujourd'hui des problèmes de santé, parfois graves. Certains ont été détectés mais, pour d'autres, cela risque de se prendre plus de temps, peut-être 2 ou 3 ans. C'est ce qui avait déjà été constaté après l'attentat du World trade center ; des pathologies sont apparues plusieurs années après. C'est une vraie bombe à retardement !

H.fr : Certaines personnes ont-elles perdu la vie bien après les attentats ? Déplore-t-on des suicides ?
CL : Nous avons en effet perdu 5 membres de notre association ; 4 sont morts de problèmes cardiaques, jeunes, moins de 45 ans, sans antécédents. Ces décès sont indéniablement les conséquences du stress post-traumatique qui fragilise le cœur. Et puis un Américain s'est suicidé ; il est rentré chez lui aussitôt après l'attentat et n'a donc bénéficié d'aucun soutien ni soin. Seul, isolé, il n'a pas réussi à dépasser cette violence.

H.fr : Les blessures physiques sont-elles suffisamment prises en compte ?
CL : Ne sont souvent considérées comme « blessées » que les personnes qui l'ont été par balle. Or il y a d'autres impacts considérables, entraînant des problèmes gastriques à cause du stress, pulmonaires à cause de l'inhalation de la fumée, ORL avec des pertes d'audition suite aux explosions, ostéo parce que certains sont restés des heures dans des postures qui les ont fracassés ou, encore une fois, cardiaques... La liste est bien plus longue encore. Or ils sont difficilement reconnus par les pouvoirs publics parce qu'il n'y a pas de dommage « visible ».

H.fr : Les frais médicaux sont tout de même pris en charge ?
CL : Le 100% de la Sécu est validé jusqu'au 30 novembre 2017 ! Or une majorité de troubles n'apparaissent seulement que depuis quelques mois. Après deux ans pour encaisser le choc psychologique et retrouver un relatif apaisement, les victimes commencent à se reconnecter à leur corps et là, tout explose : des scléroses en plaques, des maladies de Crohn, des pertes de vision, de l'hypertension intra crânienne... Certaines n'ont jamais été suivies, et c'est maintenant que leur état devient catastrophique.

H.fr : Plus difficile encore à diagnostiquer, la « blessure psychique » est-elle reconnue ?
CL : Très difficilement. On observe pourtant de nombreux cas de dépressions sévères. Life for Paris milite pour qu'elle soit identifiée et reconnue comme une blessure physique. Le choc post-traumatique, nourri sans cesse par la multiplicité des attentats dans le monde, peut pourtant créer des désordres physiques, des troubles d'élocution, un bégaiement... Le soir des attentats, les CUMP (Cellules d'urgence médico-psychologique) ont fait un travail formidable ; mais ce sont des médecins bénévoles qui ne proposent pas un accompagnement dans la durée. Ensuite, vous devez changer de psy, via des associations d'aides aux victimes qui dépendent de financements publics mais, au bout de deux ans, leurs subventions sont réduites et certains contrats de psy ne sont pas renouvelés. L'État vous fait bien comprendre qu'il serait temps de passer à autre chose ; il nous impose sa temporalité !

H.fr : Certaines personnes peuvent donc s'écrouler des années plus tard ?
CL : Évidemment ! Elles semblent aller bien et puis, à la faveur d'un évènement un peu violent, elles flanchent. L'attentat de Manchester, par exemple, à rouvert de nombreuses plaies. Notre traumatisme, nous le portons à vie. Or les solutions qui sont proposées par le gouvernement ne s'inscrivent pas dans la durée. Nous avions avancé sur certains sujets mais le changement de présidence a tout stoppé et risque de remettre pas mal de choses en question.

H.fr : Le milieu médical est-il en capacité de gérer le stress post-traumatique ?
CL : Pas vraiment. Comment peut-il être préparé à faire face à de véritables scènes de guerre ? Les médecins ne sont pas forcément formés à l'ampleur de ce type de dégâts. C'est pourquoi beaucoup d'entre eux, totalement démunis, préfèrent nous expliquer que tout se passe dans notre tête, ce qui ne fait que rajouter à la violence psychique et aggraver les symptômes. Alors, entre victimes, on s'organise façon plan B ; lorsque l'un de nous a repéré un bon praticien, on se refile son contact.

H.fr : Existe-t-il des recherches pour aider les victimes à se reconstruire ?
CL : Une étude « BV 13 » est en effet menée depuis 2016 sur le stress post-traumatique par une médecin du Val de Grâce, qui analyse, notamment, les impacts somatiques qui se sont déclarés après le 13 novembre. Une autre recherche, « Impact », a également été lancée après les attentats de Charlie, puis « Impact 2 » après le 13 novembre.

H.fr : Life for Paris s'est-elle rapprochée des associations de personnes avec un handicap psychique ?
CL : Non, plutôt de celles dédiées à l'aide aux victimes d'attentats. Nous avons besoin de l'expertise de personnes qui sont dans notre domaine et ont vécu la même chose.

H.fr : Quelles sont les priorités sur lesquelles vous tentez d'alerter le gouvernement ?
CL : Le travail de la justice en vue du dédommagement financier et du procès risque certainement de prendre des années alors, l'urgence, c'est de réparer les têtes et les corps, de permettre aux victimes de retrouver leur équilibre psychologique. Ce qui va nous sauver, c'est une réelle prise en charge sur cet enjeu de santé publique. L'État doit prendre ses responsabilités et accompagner les victimes, notamment en matière de retour à l'emploi. Nombre d'entre elles ont en effet cessé de travailler. Il existe un dispositif mis en place par l'ONAC (Office national des anciens combattants) qui offre un accompagnement à vie. Un partenariat a également été signé par notre association avec le CNAM (Conservatoire national des arts et métiers) qui propose des modules dédiés. Un autre avec Pôle emploi devait être signé sous le précédent quinquennat ; à suivre...

H.fr : L'accompagnement dans l'emploi offert par les deux fonds dédiés aux personnes handicapées peut-il concerner les victimes des attentats ?
CL : C'est une proposition qui nous avait été faite par Juliette Méadel, secrétaire d'État chargé de l'Aide aux victimes dans le précédent gouvernement. Or c'est une demi-réponse ! Pour celles qui, lourdement handicapées, ont demandé leur reconnaissance, pourquoi pas, mais la plupart des victimes plus légères ou invisibles n'ont pas forcément envie d'avoir l'étiquette « travailleur handicapé » et ne se considèrent pas suffisamment « amochées » pour oser faire la demande. Elles ont pourtant besoin d'un accompagnement adapté pour faciliter leur retour en emploi.

H.fr : Concrètement, que préconisez-vous ?
CL : Que toutes les victimes puissent bénéficier d'un bilan de santé complet dans tous les domaines. C'est certes un investissement important à l'instant T mais cela permettra d'éviter l'apparition de pathologies beaucoup plus coûteuses à l'avenir. Et pas seulement en termes de frais médicaux d'ailleurs ; pas d'aide aux victimes, cela veut dire : chômage longue durée, dépression grave, suicide, des familles à soutenir financièrement... Autant s'occuper des gens tant qu'ils sont vivants, non ? Nous devons rencontrer la déléguée interministérielle de l'Aide aux victimes le 28 juillet 2017. Sachant que Life for Paris ne s'implique pas uniquement pour ses membres mais également pour toutes les futures victimes d'attentats. Le travail que nous menons a également vocation à s'étendre à toutes les autres victimes (braquage, accidents de la route...).

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"Tous droits de reproduction et de représentation réservés.© Handicap.fr. Cet article a été rédigé par Emmanuelle Dal'Secco, journaliste Handicap.fr"
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