Autodétermination, empowerment, autonomie, savoirs expérientiels, pair-aidance, participation... De nombreux termes sont employés et valorisés pour évoquer l'accompagnement des personnes dites « fragilisées ». Derrière ce riche vocabulaire, de véritables changements dans les pratiques et la prise en considération de ces personnes sont à relever. Tel est l'enjeu du livre 100 idées pour promouvoir l'autodétermination et la pair-aidance (éditions Tom Pousse), en librairie depuis mai 2021, co-rédigé par Marc Blin, formateur et maître de conférence au sein de l'Institut national supérieur formation et recherche handicap et enseignements adaptés (Inshea) et Julia Boivin. Cette consultante formatrice dans le domaine du médico-social, elle-même en situation de handicap, nous en dit plus sur ces deux notions « complexes mais fondamentales ».
Handicap.fr : Entrons directement dans le vif du sujet... Que sont l'autodétermination et la pair-aidance ?
Julia Boivin : L'autodétermination est le pouvoir de dire, de choisir, d'agir pour soi. C'est, étymologiquement, parvenir à se fixer sa propre ligne de conduite. Cela vaut donc pour chacun d'entre nous, reconnaissance de handicap ou pas. Il s'agit d'une intention universelle. Pour cela, il faut (apprendre à) se connaître, du moins le mieux possible . Sans savoir qui l'on est, difficile de savoir ce que l'on veut. A partir de là, il s'agit de faire des choix et de poser des actes.
La pair-aidance est le fait de vivre une situation particulière (être parent, en situation de handicap, étranger) et de pouvoir la valoriser et transmettre ce qu'on en a tiré à d'autres personnes qui vivent une situation similaire. Concrètement, il s'agit de se soutenir et de partager ses expériences entre pairs, mais pas forcément entre personnes handicapées.
H.fr : Pourquoi avoir décidé d'écrire un livre sur le sujet ?
JB : Cette idée nous est venue, à Marc (directeur de services médico-sociaux pendant 20 ans) et moi, en 2019 après avoir co-animé plusieurs formations. De plus en plus de personnes se posaient des questions sur l'autodétermination et la pair-aidance, nous avons voulu y répondre le plus simplement possible. Nous nous sommes aperçus qu'il n'y avait pas d'autres ouvrages accessibles qui posent les bases de ces deux notions prenant pourtant de plus en plus de place, notamment, dans l'enceinte médico-sociale. L'objectif : proposer des pistes de réflexion pour mettre en place des actions concrètes avec les personnes concernées.
H.fr : Comment s'est passée cette écriture à quatre mains ? C'était une expérience inédite...
JB : En effet mais, en réalité, nous ne sommes pas deux mais 48 derrière l'écriture de ce livre ! Convaincus que nous n'avions pas toutes les réponses et qu'il était essentiel de se nourrir d'autres manières de voir, nous avons sollicité des professionnels, des personnes handicapées et leurs proches, mais aussi des chercheurs, des directeurs d'établissements et d'associations... C'est encourageant de voir qu'on n'est pas seul à réfléchir sur ce sujet.. Pour être honnête, c'était une expérience assez difficile mais intellectuellement et humainement super riche !
H.fr : Parmi les cent proposées dans votre livre, quelles seraient les cinq idées majeures ?
JB : 1) Valoriser les expériences de vie. Une personne handicapée n'est pas au rabais, elle vit simplement des situations particulières.
2) Être au clair sur les représentations du handicap et l'accompagnement dont les personnes concernées peuvent bénéficier, pour mettre le handicap à sa juste place. Accompagner, est-ce faire tout pour la personne ou lui permettre de faire par elle-même et de dire ses besoins, envies, désirs, aspirations ?
3) L'enjeu est de partir de la personne sans pour autant la mettre au centre, au risque qu'elle se sente exclue. Et lui permettre de s'exprimer, quel que soit son moyen de communication, pour qu'elle prenne une place pleine et entière de partenaire, de co-auteur de son parcours de vie.
4) L'autodétermination et la pair-aidance sont accessibles à tous. Bien souvent, en formation, on entend dire que c'est pour une élite, pour les « super héros handicapés ». Pas du tout ! Chaque personne est en capacité de faire émerger des espaces d'autodétermination. Il s'agit d'un processus individuel qui, par essence, appartient à chacun.
5) Valoriser les savoirs issus de l'expérience permet de trouver du sens et d'engager une posture plus active. Je peux être aidé mais aussi aider, à mon tour, afin que mon parcours ne soit pas vain et puisse servir à d'autres.
H.fr : En quoi ces deux valeurs sont-elles fondamentales, a fortiori en cas de handicap ?
JB : L'autodétermination est la base de l'existence et ce qui permet de créer toute la construction identitaire. Il est important pour les personnes handicapées de pouvoir s'exprimer et de se sentir légitimes à dire, et ce même si elles sont parfois dans des cadres plus restreints (en institution, en situation de dépendance...).
En ce qui concerne la pair-aidance, la grande majorité des personnes handicapées sont entourées de « valides » et bénéficient de l'accompagnement de professionnels qui ne vivent pas la même situation, ce qui peut renforcer leur sentiment de solitude, de « décalage ». Rencontrer un pair qui a des problématiques similaires et se pose les mêmes questions permet de renforcer cette légitimité, de redonner confiance et de faire émerger un champ des possibles. Pour résumer, il s'agit de construire du commun à partir de nos expériences personnelles.
Tout l'enjeu consiste à faire comprendre qu'il n'y a pas de danger à se réorganiser collectivement. Cela va sans doute nous demander, à tous, de sortir de quelques zones de confort mais l'objectif est essentiel puisqu'il s'agit de permettre à chaque personne d'être celle qui dit pour elle. Qui aurait envie d'autre chose dans sa propre vie ?
H.fr : Quel message souhaitez-vous transmettre aujourd'hui ?
JB : Comment déplacer la question du handicap dans le champ non pas de la différence mais du commun ? Ne plus l'évoquer sous l'angle de la pathologie, du besoin mais plutôt du vivre ensemble. Il faut avant tout percevoir des citoyens avant de les voir comme des personnes handicapées. N'est-ce pas via ces deux notions que l'on pourra se rendre compte que nous ne sommes pas si différents et que, finalement, on aurait peut-être des tas de trucs à se dire entre humains ? Comment faire communauté tous ensemble ? On y croit !
H.fr : Un autre projet de livre dans les tuyaux ?
JB : Des tas ! Mais il est encore trop tôt pour en parler... Pour l'instant, nous nous concentrons sur la publication de ces « 100 idées » inspirantes. D'ailleurs, nous avons décidé de reverser l'intégralité des droits d'auteur à la Croix-Rouge française afin de financer un projet Epop (Empowerment and participation of persons with disability ou autonomisation et participation des personnes handicapées) qui vise à banaliser le recours aux savoirs expérientiels des personnes en situation de handicap dans une optique de pair-accompagnement, d'autoreprésentation, de participation à la conception, à l'évaluation des politiques publiques et des offres d'accompagnement. Ça avait du sens pour nous de financer un projet sur la pair-aidance. Pour le coup, là, c'est vraiment l'idée de transmettre sans rien attendre en retour !