Un aide-soignant condamné à dix ans de prison pour avoir abusé de deux femmes paralysées dont il avait la charge. C'était le 8 février 2018. L'une des plaignantes âgée de 47 ans avait expliqué n'avoir rien dénoncé pendant un an par « peur » de l'accusé et de ne pas être crue. L'avocate générale avait alors appuyé : « Quoi de plus horrible que d'être violée et de continuer à être lavée par son violeur ? ». Un fait divers, un de plus, qui atteste de l'omerta sur les abus parfois subis par des résidents vulnérables au sein d'établissements médico-sociaux. Lors de ses vœux au CNCPH (Conseil national consultatif des personnes handicapées), le 18 janvier 2018, Sophie Cluzel, secrétaire d'État en charge du handicap, évoquant une autre affaire, promet de se montrer « intraitable » sur la maltraitance.
Engagements de ministres
Autres temps, autres indignations… Marie-Anne Montchamp, ancienne ministre et actuelle présidente de la CNSA (Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie), déclare, en 2005, : « La lutte contre les maltraitances infligées à des enfants et des adultes, d'autant plus vulnérables qu'ils sont très fragilisés et qu'ils peuvent par conséquent constituer une proie facile pour ceux qui n'hésitent pas à abuser de leur autorité et à profiter de cette fragilité, doit être une priorité absolue qui nous engage tous. Elle doit faire l'objet d'une détermination sans faille de notre part. ». Elle prononçait ce discours après sa visite de l'IME de Moussaron (Gers) alors que ce même établissement avait été dénoncé pour maltraitance quelques années auparavant et avait fait l'objet d'un rapport accablant de l'Igas (Inspection générale des affaires sociales) en 1997. Après que ce scandale a éclaté au grand jour, Marie-Arlette Carlotti, nouvelle ministre, affirme à son tour, suite à la diffusion du documentaire dans Zone interdite en 2014, Ces centres qui maltraitent les enfants handicapés : « Personne ne peut être insensible aux images d'enfants handicapés, violentés par ceux-là mêmes qui sont censés leur apporter attention, soin et réconfort. (…) Face à l'intolérable, il faut agir avec fermeté. » Paroles engagées, discours non exhaustifs. Où en est-on aujourd'hui ?
Lettre ouverte
Malgré les « affaires » qui émaillent çà et là les manchettes des journaux, ce sujet éminemment tabou peine à s'inviter dans le débat public. Face à ce constat, le Comité de soutien à Céline Boussié, la lanceuse d'alerte qui avait révélé au grand jour le « scandale Moussaron », adresse une lettre ouverte à Sophie Cluzel le 26 janvier 2018. Une copie est également déposée dans la boite de Jacques Toubon, Défenseur des droits, et de Catalina Devandas-Aguilar, rapporteure des Nations unies qui, en visite en France en octobre 2017, a dressé le bilan des actions prioritaires à mettre en œuvre dans le champ du handicap. Faut-il le rappeler, à de multiples reprises, notre pays a été condamné par l'ONU pour non-respect de la Convention internationale des enfants handicapés. Le 19 janvier 2018, c'est au tour du Conseil des Droits de l'Homme de l'ONU (CDH) de l'interpeller, cette fois-ci sur le non-respect des droits des personnes handicapées -parmi 300 recommandations, une dizaine les concerne directement-. Ce rapport recommande à la France d'assurer des conditions de vie dignes et de préserver l'intégrité physique et psychique de celles vivant en institution. Quant au Comité des Droits de l'enfant, il s'est dit, en 2016, préoccupé par les cas de mauvais traitements d'enfants handicapés dans les institutions et par le fait que ces établissements ne faisaient pas suffisamment l'objet d'une surveillance indépendante.
Le « cas » Boussié
« Après des années de déclarations et d'effets d'annonces, les textes de lois existants n'ont jamais été appliqués tandis que le rapport du Sénat en 2003 « Maltraitance envers les personnes handicapées, briser la loi du silence » n'a jamais été pris en compte », déplore ce Comité. Pour avoir osé parler, Céline Boussié a fait l'objet de poursuites pénales par son ancien employeur mais a finalement été relaxée le 21 novembre 2017 (article en lien ci-dessous). Sortie blanchie ! Ce ne fut pas le cas pour d'autres qui avaient dénoncé les mêmes faits dès 1995, leurs plaintes ayant été classées. Selon le comité de soutien, les « dirigeants de l'établissement, à ce jour et depuis plus de 20 ans, ne sont pas inquiétés, mis en examen et condamnés pour ces traitements indignes et dégradants ». Pourtant, le tribunal qui a prononcé la relaxe de Céline Boussié s'est ému des révélations livrées par la prévenue en indiquant que « nul ne peut rester indifférent aux lits avec barreaux trop petits, à la toilette faite devant l'ensemble du groupe, aux mesures de contention, ainsi qu'à la difficile gestion de la violence ». Il a rappelé que des rapports de l'Igas et de l'Agence régionale de santé (ARS) mettaient en exergue « une maltraitance institutionnelle ».
Des textes sans équivoque
Dans son courrier, le Comité interroge : « Combien y-a-t-il de lanceurs d'alerte en ce domaine et pour les mêmes faits, dont nous ignorons tout, tant le silence prévaut et les sanctions sont terribles pour celles et ceux qui osent dénoncer ? » « Faire le choix de lancer l'alerte, c'est faire le choix d'un suicide moral, physique, professionnel, familial et financier », explique Céline Boussié, déplorant « l'impunité de certains établissements et de leurs gestionnaires de droit privé gérant des fonds publics ». Une jurisprudence datant de 2007 établit pourtant que la dénonciation de maltraitance « constitue une liberté fondamentale qui doit profiter d'une protection légale renforcée. ». Elle fut, à l'époque, largement diffusée à tout le secteur social et médico-social. Le clou est un peu plus enfoncé fin 2016 avec un décret qui oblige tous les établissements et services à « signaler tout dysfonctionnement grave ou événement ayant pour effet de menacer ou de compromettre la santé, la sécurité ou le bien-être des personnes prises en charge » (article en lien ci-dessous).
Une pétition en ligne
« De tels agissements s'exercent donc en pleine conscience. Ce qui en dit long sur le sentiment de toute puissance qui animent leurs auteurs », s'indigne le Comité qui, pour ces raisons, refuse de se contenter de « beaux discours et d'effets d'annonces ». Il exige des « actes forts en conformité avec les recommandations de l'ONU faites à la France » et que la « lumière soit faite » sur le cas Moussaron, ainsi que la réhabilitation des lanceurs et lanceuses d'alerte précédemment condamnés. Enfin, il exige que les termes « maltraitance » et « maltraitance institutionnelle » soient désormais inscrits dans le Code pénal. Pour aller plus loin, il demande que l'Assemblée nationale et le secrétariat d'État au handicap se saisisse de cette question. Il peut compter sur le député du Nord, Adrien Quatennens (La France insoumise), qui a, lui aussi, récemment interpellé Sophie Cluzel sur les mesures que le gouvernement entend « prendre afin de lutter contre ces actes et faire respecter les droits fondamentaux et élémentaires des personnes qui en sont les victimes ». Une pétition est par ailleurs en ligne pour réclamer « des institutions sociales et médico-sociales de qualité » (en lien ci-dessous).