Un jeune homme avec trisomie 21 dresse la table dans les salons de Matignon. Nous sommes le 20 septembre 2017. Édouard Philippe reçoit ses ministres pour le premier Comité interministériel du handicap (CIH) du quinquennat Macron. Ce jour-là, en cuisine, ce sont les jeunes de l'École Médéric qui s'affairent. Cette école hôtelière de référence se veut à la pointe sur les enjeux de société contemporains tels que l'insertion des jeunes en situation de handicap.
Semaine chargée pour l'emploi
Plus qu'un symbole, une véritable ambition ? L'emploi est justement au cœur de ce CIH. Le lendemain, le 21, Édouard Philippe dévoile son plan de lutte contre la pauvreté tandis que le Fiphfp (fonds dédié à l'emploi des personnes handicapées dans la fonction publique) réunit la presse pour dresser un bilan de ses actions. Deux jours plus tard, c'est la signature officielle des ordonnances sur la réforme du Code du travail. Dans cette profusion d'évènements, quelle place pour le handicap ?
Les annonces du CIH
Lors du CIH, sous la rubrique « Accéder à un emploi et travailler comme les autres », Édouard Philippe fait étét d'un « bilan insatisfaisant » et déroule les mesures en faveur de l'emploi des personnes handicapées qui, rappelons-le, sont deux fois plus au chômage que le reste de la population. 500 000 travailleurs en situation de handicap pointent à Pôle ou Cap emploi. Leur niveau de qualification est inférieur à celui de l'ensemble des demandeurs d'emploi (26% ont le Bac et plus contre 45% tous publics). Quelle feuille de route pour les 5 ans à venir ? Des objectifs énoncés dans les grandes largeurs, plus que des mesures concrètes : réduire l'écart entre le taux de chômage des personnes handicapées et celui des personnes valides ; faciliter l'embauche et le maintien en emploi y compris dans les TPE-PME ; rénover l'obligation d'emploi des travailleurs handicapés (OETH) en l'intégrant dans la déclaration sociale nominative ; augmenter leur niveau de qualification et mieux accompagner et sécuriser les transitions entre l'éducation et l'emploi. Edouard Philippe compte également promouvoir le télétravail qui peut « constituer un plus pour les personnes en situation de handicap et pour leurs employeurs ».
Secteur adapté, apprentissage…
C'est aussi rénover le secteur adapté et expérimenter des mesures favorables au recrutement de travailleurs handicapés et accompagner le secteur protégé sur la formation professionnelle de leurs travailleurs et leur accès au milieu ordinaire au travers du dispositif d'emploi accompagné mis en œuvre en 2016 que le nouveau gouvernement souhaite « déployer ». Il vise également l'accueil d'au moins 6% d'apprentis en situation de handicap dans le secteur public (pour l'État, environ 600 postes pour un objectif de 10 000 apprentis). D'autres mesures, des « mesurettes » pour certains… Le gouvernement promet ainsi de doter chacun des 10 000 agents du Ministère de l'intérieur en situation de handicap d'un « Livret de parcours professionnel » destiné à simplifier les relations de travail. Il entend enfin généraliser la pratique du Duoday dans l'ensemble des ministères dès le 26 avril 2018 ; durant cette journée, un duo se crée entre une personne en situation de handicap et un salarié volontaire.
Le point de vue du Fiphfp
Interrogé par handicap.fr sur ces annonces, Dominique Perriot, président du Fiphfp, explique : « La plupart des sujets sur lesquels nous travaillons ont été abordés lors du CIH, notamment le chômage ». Et de citer la qualité de vie au travail avec un accent mis sur le maintien en emploi tout au long de la carrière mais également l'emploi accompagné et la priorité donnée à l'apprentissage ou encore l'engagement en faveur de l'accessibilité des outils numériques. Le Fiphfp déclare n'être « pas décalé par rapport aux engagements du gouvernement » et assure vouloir lui « donner du temps ».
Les contrats aidés
Du côté des contrats aidés, qui concernent les personnes les plus éloignées de l'emploi et notamment les travailleurs handicapés, la baisse est confirmée pour 2018, annonce faite le 21 septembre dans le cadre du « Plan de lutte contre la pauvreté ». 460 000 en 2016, 300 000 en 2017 et 200 000 en 2018. Moins mais mieux… Ils seront « reformatés de façon à être tous beaucoup plus efficaces » assure la ministre du Travail, en s'appuyant sur le triptyque accompagnement/formation/emploi.Cette nouvelle formule doit remplacer les contrats aidés actuels dès le 1er trimestre 2018, sur la base d'un rapport qui sera rendu fin 2017. Tout contrat aidé comportera ainsi, « véritablement », pendant sa durée ou à son issue, un volet formation. Réservés « uniquement au secteur non marchand » (services, associations), ces contrats aidés seront ciblés sur « l'urgence sanitaire et sociale, l'accompagnement des enfants handicapés en milieu scolaire -une part importante des emplois aidés sera titularisée en emplois pérennes-, l'Outre-mer et les communes rurales », a précisé la ministre. Le gouvernement vise par ailleurs la conclusion de 10 000 contrats de professionnalisation expérimentaux dans l'année qui permettront à des personnes très éloignées de l'emploi, chômeurs de longue durée, d'être recrutés. « L'effort qui sera fait en faveur de l'apprentissage ainsi que celui pour la formation des demandeurs d'emploi devra pleinement bénéficier aux personnes en situation de handicap », expliquait à l'occasion du CIH, Sophie Cluzel, secrétaire d'État en charge du handicap.
Une aide aux associations ?
Cette aide au secteur associatif se veut plus globale encore et ne s'appliquera pas seulement aux contrats aidés mais vise des « emplois plus stables, moins précaires et qui contribueront, eux aussi, à la fois à l'exercice de leurs missions et à la réduction du chômage ». En 2018 et en 2019, les associations profiteront du crédit d'impôt sur la taxe sur les salaires (CITS), qui permettra de redistribuer vers les employeurs 500 millions d'euros en 2018. Au 1er janvier 2019, elles bénéficieront du report du CICE (crédit d'impôt compétitivité emploi) vers la diminution des charges sociales. L'une des traductions concrètes du dispositif : le « zéro charges » pour les salariés au SMIC accorde une baisse très significative du coût du travail de 150€ par mois. Cette aide se montera à 1,4 milliard d'euros. Le dossier de presse affirme que 2019 « sera une année exceptionnelle pour le secteur (associatif), qui bénéficiera de près de 2 milliards d'euros de soutien ».
Réactions des asso
Ces annonces ne semblent pourtant pas totalement rassurer les parties concernées, qui ont aussitôt réagi. Unissant leur voix, la Croix-Rouge française, la FEHAP (Fédération des établissements hospitaliers et d'aide à la personne), Nexem (principal représentant des employeurs associatifs du secteur social, médico-social et sanitaire) et Unicancer, reçues par les ministres de la Santé et du Handicap, expriment « les très grandes inquiétudes de leurs adhérents provoquées par la brutalité de l'arrêt des contrats aidés alors même que, à peine quelques mois auparavant, les préfets incitaient fortement à l'utilisation de ce dispositif. » Elles assurent que ce dernier « renforce la qualité de l'accompagnement proposé dans leurs structures et exerce pleinement la mission d'insertion contenu dans le projet social de leurs organisations ». Elles en demandent le maintien. Quant à la Fnath, fédération des accidentés de la vie, elle déclare que « le gouvernement n'apporte aucune solution concrète et rapide à l'arrêt brutal des contrats aidés pour les travailleurs handicapés ».
L'APF se dit désagréablement surprise
L'APF (Association des paralysés de France), de son côté, se dit « désagréablement surprise ». « Les personnes handicapées figuraient parmi les publics prioritaires des contrats aidés dans la circulaire de janvier 2017 de la DGEFP (Délégation générale à l'emploi et à la formation professionnelle), avec une aide de l'État pouvant aller jusqu'à 90% du SMIC horaire brut, contre 50% pour les autres publics », explique Véronique Bustreel, conseillère en charge de l'emploi. Or ce n'est plus le cas. La priorité est en effet désormais accordée aux jeunes en insertion et aux chômeurs de longue durée ; cela concerne évidemment les personnes handicapées mais pas seulement. « Par ailleurs, la nouvelle réforme mentionne une priorité donnée à l'urgence sociale, c'est-à-dire des associations comme les Restos du cœur mais notre association par exemple ne répond pas à ce périmètre, poursuit Mme Bustreel. Or nous accompagnons les parcours de bénéficiaires des contrats aidés, parfois âgés de plus de 50 ou 60 ans. C'est cela aussi la vraie urgence sociale ! ». Elle souligne par ailleurs que beaucoup de petites associations qui ont une action d'utilité sociale et pas de salariés mais seulement des contrats aidés ou des bénévoles ne tireront aucun avantage du CITS reconduit en 2018 et 2019 ou la baisse des cotisations sociales.
© Benoit Granier/Matignon et Florian David/Matignon