Atteint d'une amyotrophie spinale, une maladie héréditaire qui entraîne une fonte des muscles, Marcel Nuss se plaît d'avoir réussi à relancer récemment le débat sur la question taboue de l'accompagnement sexuel des personnes touchées par le handicap. "Je pense qu'à force d'être enfermé dans un corps, on a un sens très aigu de la liberté", confie à l'AFP cet homme au crâne rasé qui porte une petite moustache et un bouc taillés à ras.
Le sens de la liberté
Président-fondateur de l'Association pour la promotion de l'accompagnement sexuel (Appas), Marcel Nuss est à l'origine de la première formation professionnelle pour accompagnants sexuels qui s'est tenue en mars 2015 à Erstein, où il habite une maison cossue, au sud de Strasbourg. Depuis plus de 25 ans, ce pourfendeur des "lobbys intégristes" en tous genres - anti-IVG, anti-euthanasie, anti-PMA - voue sa vie au combat pour l'autonomie et le droit des personnes handicapées, cultivant ce qu'il appelle "le sens de la liberté", à l'image de ses modèles, Brassens, Mandela, Schoelcher et Bartholdy. "Je me bats pour les autres, mon ego je m'en fous. Il n'y a aucun plaisir à gérer une association, c'est plus d'emmerdes qu'autre chose", explique-t-il, maniant volontairement une langue bien pendue.
Une quinzaine de livres
Enfant, cet Alsacien se rappelle avoir choisi de transcender très tôt son handicap, en musclant son intellect, sa volonté de se dépasser, et sa passion pour l'écriture. "A 13 ans je voulais devenir avocat, mais le handicap m'en a empêché", explique Marcel Nuss, allongé dans son fauteuil en pesant chacun de ses mots, la voix à demi voilée par un respirateur. Incapable de se servir de ses mains, à 20 ans il écrit, dans la tête, ses premiers poèmes qu'il dicte à des infirmières avant d'écrire lui-même le jour où on lui donne la première synthèse vocale arrivée sur le marché en 1993-1994. En 20 ans, Marcel Nuss signe une quinzaine d'ouvrages, dont sa première biographie, "A contre-courant", parue en 1999. Dans "Libertinage à Bel amour", paru l'année dernière, un roman érotique écrit "par provocation", il cherche à "montrer qu'on peut avoir des fantasmes même quand on vit dans le handicap".
A l'origine de la PCH
Cet "utopiste réaliste", comme l'a surnommé un ancien chef de cabinet ministériel, n'a pas oublié ce matin du 11 mars 2002, quand avec cinq autres personnes handicapées il se rend à Paris pour faire une grève de la faim devant le ministère afin d'obtenir la prise en charge d'un accompagnement jour et nuit. Avec leur action très médiatisée, les grévistes sont reçus dans les salons de Ségolène Royal, en charge des personnes handicapées, et obtiennent dans l'urgence la reconnaissance officielle du "droit à l'autonomie des personnes lourdement dépendantes". Leur action ouvre alors la voie à la PCH, la Prestation de compensation du handicap. Votée en 2005 sous Jacques Chirac, cette allocation est modulée en
fonction de l'importance de chaque handicap, pour financer des aides à domicile. Marcel Nuss, qui bénéficie de 11 800 euros par mois de prestation pour rémunérer cinq accompagnants qui se relaient à temps plein, dirige aujourd'hui une entreprise de consultant. Il parcourt 25 000 kilomètres par an et met un point d'honneur à répondre à chacun de ses courriels qui s'affichent sur le grand écran installé au-dessus de son lit.
Marié et père de deux enfants
Passionné de BD, d'histoire de la philosophie, de photo et de cinéma, il a presque tout connu d'une vie normale: marié et père de deux enfants de 33 et 30 ans, il a divorcé de son ancienne femme, après 23 ans de vie commune, et s'est remarié en février 2015 avec Jill, 30 ans, une ancienne accompagnatrice sexuelle. "Pour la majorité des gens, tout ça n'est pas logique" pour une personne handicapée, estime Jill Nuss, les mains posées sur le cou de son mari. "The show must go on!", répond Marcel Nuss, qui doit prochainement publier une nouvelle autobiographie relatant "60 ans de vie avec le handicap".