Jean-Marie Lacau, directeur de Réseau-Lucioles, nous accorde une interview… la bouche pleine !
Handicap.fr : « Mix et délices » est le titre de l'ouvrage édité par Réseau-Lucioles. Ces deux notions sont-elles compatibles en cuisine ?
Jean-Marie Lacau : Je vais répondre en citant quelques recettes : royale de homard, soupe de boudin noir et pomme cannelle, milk-shake aux fruits des bois ou gaspacho de poire et glace vanille. Ça ne vous fait pas saliver ? Même mixé ? On a vraiment voulu faire dans le sophistiqué et prouver que le « mixé » pouvait être digne des meilleures tables.
H.fr : Pour ce livre, vous avez donc sollicité trente chefs français. L'idée ne leur a-t-elle pas paru un peu saugrenue ?
JML : Non, au contraire, ils se sont montrés très réceptifs et volontaires. Bien sûr, ils ne connaissaient pas forcément le handicap sévère qui est celui des personnes que nous accompagnons et certains se demandaient si le projet était vraiment viable. Mais ils se sont prêtés au jeu. Trente chefs pour 80 recettes, de l'entrée au dessert. Des plats raffinés mis en valeur par de très belles images. Et rappelons tout de même qu'il est préfacé par le plus grand d'entre eux, Paul Bocuse !
H.fr : Parvenir à réaliser un ouvrage grand public avec un concept a priori pas très « savoureux », c'est une vraie prouesse…
JML : Oui, car ce n'est qu'en l'ouvrant qu'on découvre qu'il a été conçu, à l'origine, pour des personnes handicapées. La plupart des chefs le vendent d'ailleurs dans leur établissement et en sont assez fiers. On peut vraiment le considérer comme une entreprise de valorisation pour la cuisine française. Mais c'est aussi une manière de sensibiliser le grand public au fait que ce qu'on réalise pour les plus fragiles est bon pour tous. En nous inspirant de l'accessibilité universelle, nous défendons l'alimentation universelle !
H.fr : Avez-vous goûté ces recettes ?
JML : Non, pas toutes. Mais nos experts culinaires les ont toutes retranscrites, car suivre la recette d'un chef c'est juste impossible, puis cuisinées. Cela représente presque un an de travail qui a également impliqué un médecin nutritionniste, des diététiciennes et de nombreux bénévoles.
H.fr : Quels sont les retours de ceux qui les ont mitonnées ?
JML : Que des satisfaits, à la fois au sein des familles et des établissements, même si certains jugent que certaines recettes sont un peu sophistiquées. Nous avons vendu 1 300 exemplaires, rien que par le bouche à oreilles. Et, fin 2014, nous avons reçu le prix Handilivres, qui récompense des ouvrages sur le thème du handicap, dans la catégorie « Guide ».
H.fr : L'alimentation des personnes handicapées, c'est un sujet rarement abordé…
JML : En effet. Mais nous souhaitions promouvoir la qualité, le goût et la présentation des repas servis aux personnes handicapées ou en perte d'autonomie, lorsque celles-ci ont des troubles de la mastication ou de la déglutition. Par exemple, pour les personnes avec un handicap mental sévère et absence de parole, il y a souvent deux repères immuables dans la journée : le coucher et le repas. Et ce moment important a souvent le goût de purées insipides. Alors que la nourriture c'est quand même un des plus grands plaisirs dans la vie de chacun.
H.fr : La nourriture, presque une thérapie ?
JML : Exactement. Allez faire un séjour à l'hôpital, vous verrez ce que l'on sert ! Ça n'a pas de sens. Pour commencer à se reconstruire, rien de tel qu'un repas de qualité. Et pour des gens qui ont peu de distractions et de loisirs, une belle assiette est un superbe repère qui vous donne envie, chaque jour, de faire des découvertes.
H.fr : Pourquoi vous êtes-vous engagé sur cette question ? Alimentation et handicap, c'est un cocktail compliqué ?
JML : Nous nous sommes en effet rendu compte qu'il y avait peu de consensus médical sur l'alimentation des personnes handicapées et que les connaissances autour des troubles de l'alimentation n'étaient pas partagés au sein des établissements médico-sociaux. On fait tout et n'importe quoi. Certains continuent à nourrir leurs résidents en leur mettant la tête en arrière, et j'entends trop souvent parler de fausses routes mortelles. On les expose à la fois à l'inconfort et au danger. L'idée, c'était de rassembler nos savoirs afin d'améliorer nos pratiques pour éviter qu'elles ne deviennent obèses ou anorexiques, se déshydratent, aient des reflux ou s'empoisonnent par intolérance.
H.fr : C'est pourquoi vous publiez, en 2014, un autre ouvrage, « Troubles de l'alimentation et handicap mental sévère ».
JML : C'est vraiment un ouvrage de référence, en 198 pages, qui rassemble les connaissances, outils et pistes utiles pour mieux accompagner ces personnes. Un travail collectif de fond mené par 23 spécialistes ; ils sont diététiciens, nutritionnistes, chirurgiens-dentistes, ergothérapeute, éducatrice spécialisée dans la déficience visuelle, orthophonistes, kinésithérapeute, psychomotriciennes, psychologues, médecin pédiatre, étudiantes en diététique… Tous supervisés par un écrivain. Ce livre s'adresse aussi bien aux néophytes qu'aux spécialistes. Du concret avec des pistes inédites et des solutions, des témoignages de professionnels et de proches.
H.fr : Comment se procurer ces deux livres ?
JML : La version numérique (en PDF) des « Troubles de l'alimentation » est téléchargeable gratuitement sur notre site (liens ci-dessous). Pour les deux ouvrages, les versions papier sont envoyées gratuitement (contre frais de port) aux membres de notre association et donc à tous ceux qui souhaitent s'engager à nos côtés. Les autres peuvent les acheter au prix de 20 euros chacun (+ frais de port).