Des cabinets médicaux déserts, des blocs chirurgicaux vides, des professionnels de santé inquiets... Voilà un échantillon des conséquences du « tremblement de terre Covid-19 » sur la médecine hospitalière et dite « de ville ». Après le SOS de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP), le 17 avril 2020, sur « l'effondrement de l'activité médicale hors Covid », c'est au tour de ses confrères de Provence-Alpes-Côte-d'Azur (PACA) de tirer le signal d'alarme.
50 % de consultations en moins
« Ces dernières semaines, les consultations auprès des médecins généralistes ont baissé de 50 % et de 70 à 80 % pour les spécialistes, tandis que les anesthésistes et chirurgiens voient leur activité réduite à néant », alertent l'Union régionale des professionnels de santé (URPS) représentant les médecins libéraux de PACA et l'Assistance publique-Hôpitaux de Marseille (AP-HM). Face à un renoncement aux soins « massif et préoccupant », ils s'unissent pour lancer, le 20 avril 2020, une grande campagne de sensibilisation et appellent les habitants de la région et, plus largement, les Français à « renouer avec leur médecin », en particulier en cas de pathologies à risque. Leur credo : « Confinés sauf pour votre santé ! ». Un rapprochement « inédit » et « nécessaire » qui a pour ambition de se pérenniser.
Peur de déranger et d'être contaminé
Si, dans un premier temps, les patients étaient incités à consulter uniquement en cas d'urgence et que les opérations « non urgentes » étaient déprogrammées pour libérer les lits de réanimation et les places d'hospitalisation nécessaires pour les patients atteints du Covid-19, cette période est révolue, du moins en PACA. Alors pourquoi les Français rechignent-ils à se faire soigner ? « Ils ont deux peurs, répond le Dominique Rossi, président de la commission médicale d'établissement de l'AP-HM, celle d'être contaminés et de déranger. » Selon lui, nombreux sont ceux qui pensent qu'en pleine épidémie, les médecins ont « autre chose à faire » que de s'occuper de leurs douleurs qu'ils estiment secondaires. En conséquence, des centaines de patients reportent leur visite après le confinement et « nous observons, via notre Samu centre 15, des cas de malades très graves qui tardent à appeler les secours, déplore Laurent Saccomano, président de l'URPS Médecins Libéraux PACA. Mais la maladie n'attendra pas la fin du confinement pour se manifester ! »
Prise en charge tardive
De même, face au nombre très faible de consultations pour des douleurs thoraciques, certains médecins s'interrogent. « Ces symptômes n'ont pas brutalement disparu, donc les patients attendent probablement après l'apparition des premiers symptômes », suppose Laurent Saccomano. Grossière erreur ! Même constat du côté des consultations pour cause de maladies chroniques ou cardio-vasculaires de type AVC (accident vasculaire cérébral), à l'hôpital de la Timone, à Marseille, où la fréquentation ambulatoire a diminué de moitié. « Ces pathologies dites 'silencieuses' nous inquiètent car, quand elles apparaissent, il est souvent déjà trop tard », regrette Jean-Olivier Arnaud, directeur général de l'AP-HM. Il note cependant un « frémissement » ces dernières 24 heures puisque « quelques malades ont été thrombolysés, ce qui n'était plus du tout le cas depuis plusieurs semaines ».
Risque d'une 2ème crise sanitaire
En effet, en cas de contamination par le Covid-19, certaines pathologies peuvent même devenir des facteurs d'aggravation de l'infection, c'est ce que l'on appelle les comorbidités. Elles recouvrent toutes les formes de pathologies respiratoires chroniques (bronchite chronique, emphysème, asthme, mucoviscidose…), l'insuffisance rénale dialysée, l'insuffisance cardiaque ou antécédents cardiovasculaires (AVC) ou encore le diabète. Les personnes suivies pour un cancer, ou qui prennent un traitement suite à une greffe d'organe et celles atteintes du VIH non contrôlé sont également concernées. Selon Laurent Saccomano, « le risque est de devoir faire face à une autre crise sanitaire avec ce lot de patients présentant des décompensations ou des maladies aigues prises en charge à un stade plus avancé que d'ordinaire qui peuvent potentiellement avoir des séquelles notoires (…), d'autant que nous manquons de matériel ». A ce titre, « le prolongement du confinement exige la reprise de toutes les activités qui représentent une perte de chance pour nos patients. L'interruption, même temporaire, de leur suivi médical fait courir de très sérieux risques d'aggravation de leur état », ajoute Dominique Rossi.
« Nous alertons depuis le début sur les conséquences du confinement sur les soins notamment chroniques : perte de mobilité, douleurs, perte de chance..., tweete Aude Bourden, conseillère santé de l'association APF France handicap. Le déplacement à domicile pourrait être une solution si les conditions de sécurité sont remplies. » Laurent Saccomano atteste que les personnes en situation de handicap ont les mêmes difficultés que les autres, mais subissent peut-être davantage la pénurie de matériel de protection dont disposent leurs soignants, notamment à domicile, même s'il précise que cette situation « est en passe d'être résolue ».
Dispositif de protection des patients
Autre acte médical laissé pour compte : le dépistage. « Aujourd'hui, les gens n'y pensent plus du tout, déplore le professeur Rossi. Or, lorsqu'une tumeur du colon est prise en charge précocement, les chances de guérison sont quasiment de 100 % mais, plus la masse grossit, plus elles s'amenuisent. » Face à ce constat, Jean-Olivier Arnaud se veut rassurant : « Aujourd'hui, tous nos circuits ont été repensés pour ne faire courir aucun risque à nos patients, tout en respectant les règles du confinement qui, par nature, limite l'accès à nos établissements ». Pour ce faire, l'hôpital fait en sorte de restreindre les interactions entre les patients en espaçant au maximum les consultations et assure distribuer « un masque à chacun d'eux » ainsi que du gel hydroalcoolique. « Leur protection est notre priorité absolue », affirme Dominique Rossi.
Boom des téléconsultations
La fréquentation des urgences de la Timone connaît également une forte baisse, « passant de 200/250 passages par jour à 110/120. Pour autant, « il ne faut pas se ruer aux urgences pour des infections qui ne le méritent pas », souligne Dominique Rossi. Que faire alors ? « Prendre contact avec son professionnel de santé qui vous indiquera quelle prise en charge est nécessaire et vous orientera vers la structure d'accueil adéquate », répond-il. « Lorsque la consultation de visu est impossible, des solutions de téléconsultation sont proposées. Même si c'est très frustrant de ne pas avoir le patient en face de nous, nous sommes en mesure de démarrer une prise en charge via une consultation téléphonique ou vidéo », assure Laurent Saccomano. Ces dernières connaissent d'ailleurs un « boom » représentatif, selon lui, de la capacité d'adaptation des professionnels de santé mais aussi des patients en temps de crise.
Vers un système de santé plus pertinent ?
Moins de trois semaines avant le déconfinement progressif fixé par le président Macron, une question est sur toutes les lèvres : quel sera le devenir du système de santé à l'issue de cette crise ? « La société actuelle ne sait plus vivre avec l'incertitude or on ne sait pas encore quelles conséquences aura véritablement le Covid-19 (sérologie, immunité, effet du déconfinement) », constate le professeur Rossi, révélant la nécessité « d'apprendre à vivre avec tous ces inconnus ». « Ce qui est certain, en revanche, c'est que cette pandémie a provoqué une révolution extraordinaire de notre vision de l'organisation de la santé, comme le prouve cette communication commune, conclut-il. Un changement qui permettra, à l'avenir, d'envisager la santé de nos concitoyens de manière différente et sûrement beaucoup plus pertinente. »
La santé bucco-dentaire en danger
Une autre profession se dit particulièrement inquiète, les dentistes. Contraints de fermer leur cabinet, ils redoutent une dégradation de la santé bucco-dentaire de la population. « Force est de constater que, plus le temps passe, plus la bouche des patients qui attendent des rendez-vous se dégrade, portant atteinte à leur état général et leur qualité de vie (diabète, maladies cardiovasculaires, douleurs, risques d'automédication, comportements difficiles...) », révèle le Syndicat des femmes chirurgiens-dentistes (SFCD). Face à ce constat, il demande « la création urgente d'une cellule de crise réunissant tous les acteurs du secteur ».