C'est une vidéo comme il en existe des milliers sur TikTok. Une jeune femme se trémousse sur une musique pop entraînante, avec un message qu'on croirait tout droit sorti de la bouche d'un psychiatre : « À partir de quand doit-on se poser des questions sur un éventuel trouble mental ? ». Elle y répond de manière rhétorique par une série de constats pseudo-médicaux : « Cela t'handicape socialement et professionnellement », « Tu ne peux pas faire d'effort sur ces symptômes », « Tu souffres profondément de ces symptômes »… Elle recueillera près de 11 000 « likes » sous le hashtag #mentalhealthawareness (comprenez « sensibilisation à la santé mentale »).
#Selfdiagnosis
Un autre hashtag est lui aussi particulièrement tendance. #Selfdiagnosis cumule 23,8 millions de vues sur la plateforme chinoise de vidéos virales. Si les réseaux sociaux ont contribué à délier les langues sur les troubles psychiques, un nouveau fléau inquiète désormais psychiatres et psychologues : l'autodiagnostic. Sur TikTok, mais aussi YouTube ou Instagram, des « influenceurs en santé mentale » prodiguent leurs conseils en 30 secondes chrono. Face à eux ou à leur portable, une armée d'abonnés convaincue par effet miroir de souffrir du même trouble, sans passer par la case médicale.
Parole libérée à quel prix ?
« C'est bien que la parole se libère sur ce sujet. Il y a dix ans, on n'aurait jamais pu en entendre parler de la sorte », témoigne Jasmina Mallet, psychiatre, responsable du centre « Expert FondaMental schizophrénie » de l'hôpital Louis Mourier à Colombes (92). « Après, attention à la manière dont cette information est véhiculée », tempère-t-elle. « Si l'influenceur soulève un intérêt pour le sujet, une interrogation, c'est tout à son honneur. Par contre, s'il en vient à donner des conseils et répondre personnellement aux questions de ses abonnés, là c'est problématique », alerte la psychiatre. « Ce phénomène de sur-diagnostic, nous l'avons déjà constaté avec d'autres collègues, au sujet des troubles autistiques. Beaucoup de patients se présentaient en consultation hospitalière pensant être autiste à haut potentiel », un sujet lui aussi viral sur les réseaux sociaux. « Le diagnostic doit être obligatoirement posé par un humain » et a fortiori par un médecin.
2 à 4 ans pour un premier diagnostic
L'association PositiveMinders (lien web ci-dessous) milite justement pour favoriser la détection précoce, en particulier dans le cas de la schizophrénie (article en lien ci-dessous). Cette maladie méconnue et particulièrement taboue, qui se caractérise par une perte de contact avec la réalité, est classée par l'OMS (Organisation mondiale de la santé) dans le groupe des dix maladies entraînant le plus d'invalidité. Elle se manifeste généralement au début de l'âge adulte, entre 15 et 25 ans dans 85 % des cas selon FondaMental. Or, aujourd'hui, les jeunes accèdent à un vrai diagnostic tardivement, seulement deux à quatre ans après l'apparition des premiers symptômes. En cause : le déni de la maladie, la stigmatisation et, depuis peu, « le processus dangereux d'autodiagnostic », alerte PositiveMinders. Pour permettre aux jeunes et à leurs familles d'accéder à une information fiable, de plus en plus de psychiatres prennent la parole à leur tour sur les réseaux sociaux. C'est le cas du docteur Jasmina Mallet, particulièrement active sur Twitter. « Pendant longtemps, la profession a été accusée d'utiliser un jargon scientifique peu clair. Aujourd'hui, notre génération a à cœur de véhiculer de l'information accessible à tous ».
Une grande campagne schizOdyssey
Pour atteindre un maximum de personnes, PositiveMinders et FondaMental déploient « schizOdyssey », une campagne 100% digitale, lors des Journées de la schizophrénie, du 19 au 26 mars 2022. Diffusée au cinéma et sur les réseaux sociaux, elle incite principalement les jeunes à déposer leurs témoignages sous le hashtag #PsyStory. En une minute chrono, ils peuvent raconter un moment de vie particulièrement marquant en lien avec la schizophrénie ; la campagne sera également déclinée pour la bipolarité et les autres troubles psy.
Quels signaux d'alerte ?
Dans le cadre de cette opération, une infographie révèle les signaux d'alerte. Les deux premiers diagrammes s'adressent à la population dans son ensemble : « Si vous percevez durant plusieurs semaines chez un jeune de moins de 25 ans différents changements de comportement dans la concentration, le caractère, le sommeil, les liens sociaux et/ou l'arrivée de signes inhabituels : idées suicidaires, toc ou rituels étranges et consommations de substances ». Les deux autres blocs s'adressent aux médecins généralistes et précisent également les changements de comportement tels que « l'apparition d'une méfiance de tout, la fin des sorties avec les copains et/ou l'apparition de signes inhabituels tels que des gros problèmes d'hygiène, l'habitude de parler tout seul, l'impression d'entendre des voix, des idées difficiles à suivre ou fixes ou bizarres ». La prévalence d'un ou plusieurs de ces troubles doivent alerter l'entourage familial ou médical afin d'orienter le jeune vers un spécialiste. « Nous avons souhaité apporter un outil avec un vocabulaire accessible qui puisse être compris de tous », explique Jasmina Mallet. A terme, l'objectif formulé par le collectif est de permettre au patient diagnostiqué tôt de « maintenir ses liens sociaux », « réduire ses troubles cognitifs » et « apprendre à gérer les retombées de la maladie grâce à un suivi personnalisé ». En effet, une détection précoce laisse aux jeunes quatre fois plus de chance de poursuivre leurs études, formation ou travail.
Enfin, le 22 mars, sera lancé santepsyjeunes.fr, qui accueillera un nouvel outil de repérage informatisé à destination des jeunes, des proches et des professionnels de première ligne. Le but : faciliter l'orientation, sans délai, vers les spécialistes adaptés et permettre un accompagnement le plus précoce possible.